L’héritage vivant de René Diatkine

En 1984, Catherine Unger s'entretenait avec René Diatkine. À l'occasion de la sortie du livre L'héritage vivant de René Diatkine, nous vous proposons de revivre cette rencontre.

Catherine Unger, journaliste à la "Tribune de Genève", à "La Suisse", au "Journal de Genève" et au supplément culturel du "Monde Rhône-Alpes", s’est souvent attachée, en free lance à la radio et à la télévision romandes, à des "Grands Entretiens".

Licenciée ès lettres de l’Université de Genève, elle consacra à son professeur de philosophie, Madame Jeanne Hersch, une série télévisée articulée autour de l’étonnement philosophique et, d’étonnement en étonnement, rencontra Laurent Terzieff, Michel Mayor, Jean-Pierre Vernant, Maurice Chappaz, René Diatkine et bien d’autres.

Plus qu’au comédien, à l’astrophysicien, à l’helléniste, au poète, au psychanalyste, elle leur adresse des questions qui visent à cerner l’Homme dans ses interrogations universelles, non pas à le "former", mais à le "réciter", selon l’adage de Montaigne dans ses Essais : "Les autres forment l’homme; je le récite et en représente un particulier […]" (Livre III, chapitre 2 "Du repentir").

Catherine Unger se souvient :

J’ai dû rencontrer René Diatkine, par le hasard des amitiés, au début des années 1980.

L’homme d’abord : un peu affaissé sur lui-même, lourd, hypotonique, d’une vigueur d’esprit dont son œil d’abord témoigne : vif, malin, ironique parfois, d’un humour souvent décalé. Sa parole, elle, s’empêche dans un bégaiement qu’il semble avoir apprivoisé, comme s’il lui donnait l’occasion de formuler une pensée qu’il précise, reprend, éventuellement corrige, dans un souci de clarté, mais aussi d’absence de jugement.

René Diatkine, c’est aussi le Socrate d’une bienveillance toute paternelle à l’égard des jeunes analystes qui l’entourent – il les écoute avec attention et respect, mais se réjouit visiblement aussi d’impressionner leur jeunesse. Il est le maître, eux sont les disciples : les rôles sont clairement distribués pour le bénéfice de tous. Et Diatkine de s’amuser de ma situation de Huron dans ce révérencieux cénacle !

René Diatkine, c’est encore pour moi un bon vivant qui aime à être convié à la table de l’un ou l’autre d’entre eux à la fin de la journée du séminaire du samedi.

Il me fit même l’amitié de venir dîner à la maison. Une gerbe de roses l’avait précédé dans l’après–midi : le gentleman savait que l’on n’embarrasse pas la maîtresse de maison avec des soucis de fleurs et de vase au moment du coup de feu.

Nous étions sept à table, dont cinq brillants analystes ; l’entrée avait reçu les compliments d’usage et les assiettes, dûment chauffées, attendaient sur la nappe calandrée et fleurie le plat principal… quand je m’aperçus que j’avais oublié de mettre le poisson au four !

S’ensuivit une joyeuse digression sur les actes manqués, largement arrosée, qui noya opportunément ma confusion…

Un grand entretien, c’est d’abord l’occasion de témoigner à un homme de son admiration. De dire sa reconnaissance.

René Diatkine, je l’ai admiré et, davantage encore, aimé.

Catherine Unger