Entre faire et dire. L’échographie faite aux femmes

L’accès au ventre originel gravide est objet de fascination pour chacun, mais davantage encore pour ceux qui font profession d’en faire l’inventaire. La rencontre entre l’échographiste et la future mère peut ressembler à un affrontement lorsque leurs attentes, par définition contradictoires, réveillent des émotions qui vont interagir fortement. D’autant que la représentation de l’enfant dont on parle est très différente pour les protagonistes.

L’échographie est un temps fort dans l’histoire de la grossesse. Un temps intense et bref où vont s’affronter deux pouvoirs : celui de la femme qui découvre sa puissance à porter la vie, et celui de la médecine qui pense pouvoir distinguer le fœtus tumoral du fœtus authentique[1] sur lequel pourra se fonder un projet de vie.

Toute relation objectale est obligatoirement ambivalente. L’idéalisation sert à masquer l ‘ambivalence.

Cette perspective très récente de maîtrise du destin est source de grandes fiertés mais aussi de beaucoup d’inquiétudes et de culpabilité. En effet, dans toutes les cultures, les deux représentations du fœtus sont traditionnellement tenues à l’écart le plus possible.

C’est pourquoi l’échographie est à la fois stupéfiante et intolérable car elle rassemble pour la première fois en une seule image potentielle les deux aspects du fœtus : celui que l’on désirait et celui que l’on ne voudrait pas. Peut-on encore imaginer construire une pratique de l’échographie prénatale qui respecterait la rêverie maternelle[2] tout en révélant aux parents en devenir des informations utiles à leur projet ?

Entre la description des progrès du diagnostic prénatal (DPN) et celle des difficultés de l’annonce, il faut s’arrêter sur la problématique du faire en échographie. Quelle est dans un contexte évolutif scientifique, culturel et médico-légal, la nature de cet examen fait aux femmes ? Qu’est-ce qu’il leur est fait sous prétexte d’échographie ? Dans ce faire vont se trahir les prémisses de l’annonce. Souvent, en échographie, on en a déjà trop dit sans avoir seulement ouvert la bouche.

Au cours de son contrôle de la production, l’échographiste est confronté à deux mythes. Celui de parents qui font un enfant, et qui vont donc terriblement culpabiliser lorsque cet enfant est supposé mal fait. D’autre part, au mythe de son pouvoir à déclarer l’enfant normal.

Le seul diagnostic impossible à porter ici est en effet celui de normal, car l’examen aussi sophistiqué soit-il ne peut pas tout voir.

La rencontre entre l’imaginaire parental et les avancées du DPN est donc potentiellement conflictuelle comme on a pu le discuter dans Les enjeux de la relation[3].

Au premier abord on ne voit pas bien en quoi un examen qui est au service des futurs parents pour tenter de les informer sur la qualité de l’enfant qu’ils portent pourrait être source de conflits. Mais l’échographie mobilise chez la mère tellement d’attentes jusque-là non précisées qu’elle va guetter dans le regard du médecin la confirmation qu’il voit bien ce qu’elle voit (ce qui est impossible). L’essentiel pour une mère à ce moment-là, c’est avant tout que sa capacité de rêverie personnelle ne soit pas empêchée par le regard différent qu’un autre porte sur la même image qu’elle. La mère veut surtout lire dans le regard du médecin la conviction qu’il reconnaît l’expérience singulière qui se passe dans son corps[4]. Alors que le praticien a pour préoccupation première : faire son travail et trouver (ou exclure) l’anomalie - mais aussi se mettre à l’abri d’une éventuelle accusation de négligence.

En effet, sans l’alibi thérapeutique, qu’est-ce qui pourrait justifier cette intrusion dans le ventre ? C’est donc dans l’arrière plan d’un examen même banal et techniquement irréprochable qu’il faut dépister les risques iatrogènes, faits de sévices psychologiques : blessures narcissiques que la mère peut subir du fait de déclarations liées à des constatations plus ou moins pathologiques[5], affrontement de préjugés, révélations intempestives, comportement sadiques ou pervers (inconscients), incompréhension mutuelle, susceptibles d’entraîner des manifestations de rejet et d’abandon affectif qui pourront perturber l’investissement et laisser des traces délétères chez la mère et chez l’enfant.

L'installation très précoce de certaines capacités sensorielles fait du fœtus un être multi-percevant. Cette capacité fait partie des nombreux modes d'échanges entre la mère et son enfant en formation. L'importance de la bonne qualité d'un échange psychoaffectif mère-enfant pendant la grossesse a pu être démontrée comme étant déterminante pour la croissance fœtale, en particulier cérébrale, mais aussi la période périnatale et la croissance de l'enfant[6].

Les données récentes des neurosciences convergent pour appuyer ces considérations. Entre le programme du génome et le phénotype, il y a l’épigénèse c’est à dire l’environnement et au premier plan : la mère. Les émotions s’inscrivent dans le soma.

Une relation sécurisante conditionne le développement  du cerveau droit et affecte la régulation émotionnelle et la santé mentale de son enfant[7].

Il semble donc que chaque échographie est une affaire d’annonce qui nécessite une attention particulière avec les mêmes retenues et précautions adaptées chaque fois à l’interlocutrice, et pas seulement en cas de découverte d’anomalie.

[1] L Boltanski, La condition fœtale, Gallimard 2004

[2] Maternal reverie, contenant nécessaire à l’organisation psychique du nouveau-né. Bion, 1960

[3] M Soulé et al, L’échographie de grossesse, promesses et vertiges, Éres 2011 (2e éd.)

[4] S Tisseron, ibid.

[5] M Bydlowsky,1997 Apport de Winnicott au travail psychanalytique à la maternité, Association FRIPSI

[6] JP Relier,1996 Importance of fetal sensorial capacity in the establishment of mother-child exchange during

   pregnancy, Arch Pediatr.

[7] A Schore 2001, Infant mental health journal.