Architecture et psychiatrie

Un entretien avec Victor Castro, architecte. Aucune formation de psychiatre, mais une sensibilité et une attention dont beaucoup devraient s’inspirer, contre l’enfermement.

Paola Velasquez, Luis Alvarez et Philippe Metello vous proposent d'inaugurer leur rubrique Psyché et politique par un entretien avec Victor Castro, architecte. Sans aucune formation de psychiatre, mais avec une sensibilité et une attention dont beaucoup devraient s’inspirer, il lutte contre l’enfermement, avec ses moyens, en construisant des hôpitaux psychiatriques ouverts vers l’extérieur et en travaillant sur l'impact des formes et des couleurs à l' intérieur des bâtiments recevant les malades ou les emprisonnés.

Nous voilà arrivés à l’aube d’un retour à la psychiatrie de grand-papa, retranchée à l’abri des remparts infranchissables de la forteresse-hôpital. Des enceintes qui vont même émettre leurs pseudopodes dans l’espace extérieur, dans l’espace privée des patients. « Protégez la société de ses fous dangereux », telle est l’injonction qui est faite aux professionnels du soin psychique. Le métier de Flichiatre a encore de beaux jours devant lui. Quelle régression, après la richesse et le dynamisme qui animaient nos collègues de l’après guerre, ceux qui ont conceptualisé la psychothérapie institutionnelle, nous voilà poussées à nouveau vers l’enfermement, le contrôle. Les lois qui ont créé le secteur sont enterrées. Aujourd’hui, le cadre de notre travail va nous être dicté par des textes sécuritaires dont ont connaît les buts électoralistes. Face à cette poussée, que faire ? Devons nous attendre à que notre métier se transforme en celui de gardien servile de l’ordre ? Que s’est-il passé entre une génération de collègues qui, choqué par les atrocités de la Shoah et de la guerre a réagit en inventant une nouvelle pratique, et notre génération? Avons nous perdu notre énergie et nos convictions ?

Heureusement, des hommes œuvrent encore aujourd’hui pour faire tomber les murs. Parmi ceux-ci, on en trouve derrière les murs de nos institutions. Une personnalité comme Victor Castro, architecte de son métier, en est la preuve. Sans aucune formation de psychiatre, mais avec une sensibilité et une attention dont beaucoup devrait s’inspirer, il lutte contre l’enfermement, avec ses moyens, en construisant des hôpitaux psychiatriques ouverts vers l’extérieur, des hôpitaux humains, où les murs sont pensés, non pas pour retenir et protéger, mais pour contenir et ouvrir sur l’extérieur. Avec ses moyens, il lutte contre le mouvement sécuritaire actuel en pensant des espaces conçus, avant tout, pour soulager et soigner.

Pour sa première diffusion l’équipe de Politique et Psyché a choisi d’aller rencontrer cet homme qui apporte une contribution passionnante à la défense du soin psychique. Venu d’un autre univers, il  alimente une pensée qui lutte contre le détricotage du secteur et le retour derrière les murs. Victor Castro, nous pousse à regarder au-delà et nous rappelle à quel point les notions d’espaces, d’enveloppes et de contenants, qu’ils soient architecturaux, transitionnels ou de soins, sont importants et à la base de toute action thérapeutique.

Le travail de Victor Castro nous permet de découvrir un lien possible entre esthétique et soins. Soins, car dans sa démarche, il prend en considération l’autre, sa souffrance, son ressenti, sa perception. Esthétique, car sa démarche démontre avec brio que l’on peut faire beau sans perdre de vue la nécessité de rester contenant pour le patient. Victor Castro veut construire un « bel hôpital », sans éluder la question essentielle de la relation que le patient pourra créer entre lui et l’espace, la couleur, les formes, les matériaux… La relation entre le patient et les enveloppes architecturales qu’il leur offre dans ce moment singulier qu’est, dans leur parcours, l’hospitalisation. La recherche d’un espace humanisant ouvert aux perceptions et aux représentations joue un rôle essentiel dans son travail. Victor Castro crée ainsi de véritables espaces transitionnels. Des espaces où l’illusion favorise l’introjection d’un bon objet : rassurant, fiable, malléable.

Il nous a semblé enrichissant de vous faire partager l’expérience de ce professionnel qui possèdent d’autres outils, d’autres points de vues, et accepte de les mettre au service de notre métier sans avoir peur de contester les exigences politiques, financières ou idéologiques. C’est une bouffée d’oxygène pour la pensée, un faire-valoir à la tradition humaniste qui, majoritairement, régit nos pratiques. Victor Castro défend ici une posture personnelle et architecturale mais surtout humaine. Il montre son désir d’offrir des espaces contenants pour les soins, des espaces humains, aussi bien pour les patients que pour les soignants.

En espérant que vous partagerez le plaisir de cette découverte et en souhaitant que cela vous inspire pour défendre ce qu’il reste d’une pratique qui fait ses preuves encore aujourd’hui.