Bio-bibliographie

Perspective historique sur les principaux apports d’Ajuriaguerra, tant en neurologie qu’en neuropsychologie du développement.

Réalisée par Laurence Vaivre-Douret avec la collboration de Hélène Khéroua.

Issu d’une famille basque traditionnelle installée à Bilbao, J. de Ajuriaguerra arrive à Paris en 1927 pour faire ses études de médecine. Après avoir été externe des Hôpitaux de Paris, il s’est dirigé vers l’Internat des Hôpitaux Psychiatriques de la Seine en 1933.

En 1936, il obtient le titre de docteur en médecine avec sa thèse « La douleur dans les affections du système nerveux central », préface de Jean Lhermitte.

C’est à Sainte-Anne que débute sa double formation de neurologue et de psychiatre. Ses maîtres les plus proches sont André-Thomas pour l’enseignement d’une sémiologie du développement neurologique précoce (dont le tonus musculaire) et de la psychomotricité en général ; et Jean Lhermitte pour le fonctionnement du cerveau et le début de la neuropsychologie (Jean Lhermitte et J. de Ajuriaguerra, Psychopathologie de la vision, 1942). Il publie avec André-Thomas deux gros ouvrages : l’Axe corporel (1948) et Etude sémiologique du tonus musculaire (1949). Conjointement à ces approfondissements en neurologie, deux lignes de travaux eurent une importance primordiale dans ses recherches : d’abord Henri Wallon (1879-1962), puis Jean Piaget (1896-1980), théoriciens de la psychologie de l’enfant. En 1948 paru l’ouvrage monumental Epilepsies, leurs formes cliniques et leurs traitements, encollaboration avec un autre de ses maîtres, Louis Marchand. En 1949, il poursuit son travail à Saint-Anne en neurologie et publie avec Hecaen Le cortex cérébral.

Ajuriaguerra avait, en 1946, réuni un certain nombre de collaborateurs pour travailler dans le domaine de la rééducation des altérations de la psychomotricité et du langage à l’Hôpital Henri-Rousselle. Il créa, avec René Diatkine, une « Equipe de recherche et de rééducation des troubles de la psychomotricité et du langage ». Le Dr. Jean Bergès lui succédera à son départ pour Genève.

Au cours de son analyse avec Sacha Nacht, il prend plusieurs décisions importantes. Il prend la nationalité française et décide de régulariser sa sitution profressionnelle afin de pouvoir exercer en toute légalité. A la fin de son analyse (en 1952), Nacht lui serrant la main lui souhaita « bonne chance ». Ajuria, toujours caustique lui répondit « Ah ! parce qu’en plus de faire son analyse, il faut avoir de la chance ? »

Il fut le maître à penser de nombreuses générations de psychiatres français et étrangers. « Son enseignement englobait la psychiatrie tout autant que les troubles des fonctions symboliques. L’aphasie était un des axes du débat théorique. Sa réflexion était centrée sur les processus de désorganisation et de réorganisation du fonctionnement nerveux. Le fond tonique sur lequel s’inscrivent les figures subtiles de l’ordre et du désordre, dans les coordonnées de la latéralisation, devient un objet d’étude privilégié. L’abord de la psychomotricité de l’enfant fut la suite logique de sa démarche » (R. Diatkine).

Il mit sur pied à l’Hôpital Sainte-Anne-Henri-Rousselle une équipe de recherche pluridisciplinaire en psychologie et psychopathologie de l’enfant avec la collaboration de S. Borel-Maisonny, M. Auzias, J. Bergès, N. Galifret-Granjon, H. Gobineau, D. Koechlin, I. Lézine, I. Santucci, G. Soubiran, M. Stambak, R. Zazzo etc. Avec G. Soubiran, il est à l’origine du premier service de rééducation psychomotrice à Henri-Rousselle.

Nul n’est prophète en son pays ! Après des propositions faites par les universités de Bruxelles et de Genève, c’est en 1958 qu’Ajuriaguerra accepta la responsabilité de la chaire de Psychiatrie à l’Université de Genève où il fut amené à poursuivre ses travaux notamment sur l’intégration–désintégration mentale. De plus, il transforma radicalement la Clinique de Bel Air puis créa le Centre Psycho-Social Universitaire, aboutissant au développement de nouvelles politiques de soins. Il organisa les Symposia de Bel Air à Genève, réunissant psychiatres et biochimistes.

Parallèlement à ces recherches neurologiques, anatomo-pathologiques, psychiatriques et psychopathologiques portant essentiellement sur l’homme adulte, il s’était déjà engagé dans l’étude de la psychopathologie de l’enfant à partir de la dynamique psychologique évolutive.

En 1958, création avec S. Lebovici et R. Diatkine de la revue La Psychiatrie de l’Enfant. Puis publication en 1970, de son Manuel de Psychiatrie de l’Enfant, réédité en 1978 et restant comme traité de référence.

Il résume ainsi, en 1974, son approche : « Les notions de normal et pathologique, déjà si difficiles à cerner chez l’adulte le sont encore plus chez l’enfant en évolution. Il est nécessaire de les étudier par des approches diachronique et synchronique (comme certains linguistes le pensent pour la langue, l’organisation psychologique fonctionne synchroniquement et se constitue diachroniquement) et de tenir compte à la fois du potentiel biologique de l’enfant, de sa maturation en général et de son système nerveux en particulier, de son activité propre face à autrui et des réactions de l’entourage.

Ceci dit, il y a un certain nombre de problèmes que j’aimerais approfondir, car toujours en discussion. J’aimerais, entre autres, définir les notions d’intégration et de désintégration des fonctionnements neuropsychologiques à partir d’une étude critique des diverses doctrines neuropsychologiques du développement, et plus particulièrement à travers les différentes écoles de psychologie génétique. Je souhaite également traiter les problèmes posés par la maturation et l’environnement (état actuel des connaissances sur la maturation ; importance des facteurs afférentiels au cours du développement – stimulations, carences ; distorsion du développement par défaut d’afférences générales ou partielles). Il me paraît aussi important d’étudier les problèmes posés par les stades de développement (continuum ou paliers, organisateurs et moments féconds), les périodes critiques et les périodes sensibles….. En fait, mon but général est d’établir une méthodologie nous permettant de mieux aborder l’histoire naturelle de l’enfance » (J. de Ajuriaguerra, Professeur à la Faculté de Médecine de Genève, Titres et travaux scientifiques, 1974).

Ajuriaguerra quitte Genève en 1975 pour aborder une dernière étape de sa carrière. Il est nommé à la Chaire de neuropsychologie du développement au Collège de France de 1975 à 1981.

Dans sa leçon inaugurale au Collège de France le 23 Janvier 1976, il se réfère, concernant les apports de la psychopathologie notamment, à Ribot, Janet, Piéron, Wallon, pour les données en psychiatrie ; à Pieron et Wallon pour la neuropathologie et retient, en psychologie de l’enfant, Wallon qui fut le premier à décrire la hiérarchie des conduites et à établir une ontogénèse des conduites discontinues. Ajuriaguerra se fonde sur les notions d’« équipement de base » anatomo-physiologiques et de « préformes d’organisation », potentialités qui s’actualiseront en réalisations fonctionnelles. Il souligne que les stimulations sont des besoins primaires.

«… Il va sans dire que le rapport contrainte/liberté se modifie diachroniquement de la naissance à l’âge adulte et synchroniquement au cours des étapes ».

Il réfléchit, historiquement, à la place de l’enfant et à celle du nourrisson, rappelant que Preyer a établi les premières ébauches d’une sémiologie du développement du nourrisson, puis Baldwin tenté d’expliquer les processus de ce développement. Le développement de l’activité mentale procède

« autant par évolution que par involution, et les éléments premiers disparaissant bientôt derrière la toile de phénomènes plus complexes dont ils forment la trame. ….. Tous les processus de l’évolution psychique ne semblent être que des formes différenciées d’un même processus fondamental, d’une réaction sensori-motrice ».

L’étude du développement de l’enfant se fait par différentes voies, dont celle de l’ontogénèse fonctionnelle (Freud, Wallon, Piaget), la position de Gesell étant particulière. Ajuriaguerra retient que Piaget, en 1970, à l’Association Psychanalytique Américaine, affirmait qu’« il convient de songer dès aujourd’hui à la fondation d’une psychologie générale portant simultanément sur les mécanismes découverts par la psychanalyse et sur les processus cognitifs ».

Pour Ajuriaguerra, « il faut s’efforcer d’appréhender la mutualité des choses, à la fois ce que la nature offre à l’enfant et ce que l’enfant et son entourage organisent dans les situations successives de l’évolution maturative d’une part, relationnelle de l’autre, évolution qui s’effectue dans un temps et un milieu donné ».

Il souscrit à la notion de « holding » de Winnicott, qu’il appelle la « maintenance », notion qui se réfère à un certain nombre d’attitudes et de comportements mère/enfant au cours des premiers échanges. En fait, le problème est plus complexe car il y a une première phase, celle du désarroi, du non-savoir-faire. La « maintenance » est tout un monde dans lequel l’espace et le temps de la mère doivent prendre forme par tâtonnements.

… « Le désir, le besoin et le devoir-faire, au lieu d’être complémentaires, peuvent être contradictoires. L’accomplissement des actions de la mère pour la maintenance de l’enfant peut être dans certains cas discontinu et perdre ainsi le liant de la spontanéité. Cette fragmentation temporo-spatiale désorganise les automatismes élémentaires. Or, la mère peut surinvestir non seulement l’enfant en tant que tel, mais également sa façon de bien ou mal faire les choses. Tant que les automatismes ne sont pas réorganisés, il existe un mode de relation dans lequel la mère ne répond pas tout à fait à ce dont l’enfant a besoin. Si la mère se cherche, l’enfant, de son côté, cherche un certain type de donation qui apportera une réponse à ses besoins impérieux. Il y a un temps de flottement avant que s’établisse cette mutualité indispensable. La mère recherche dans les activités de l’enfant l’information et la confirmation du bien-fondé de son activité ».

….. « C’est dans la confrontation entre un homme tout fait ayant plus ou moins bien utilisé son potentiel et l’enfant en train de se faire utilisant sa mécanique, que se trouve la réalité de l’ontogénèse. Il est impossible de connaître la psychologie de l’enfant en méconnaissant celle de l’adulte qui participe à sa formation. L’enfant créé est actif dans son développement. Il porte en lui son futur, offert par la nature, mais malgré ses limitations, il est créateur du présent successif. C’est à partir d’une ébauche que l’enfant devient un « être humain » ; c’est à partir de la mécanique, des monologues que l’homme devient dialoguant, c’est-à-dire présence avec et dans l’autre. C’est dans ce dialogue et grâce à une certaine fixité du code génétique qu’à partir d’une prospective générale, il créera, avec l’aide de l’environnement, son propre projet ».

Pendant ces années, de 1975 à 1981, ainsi que de 1981 à 1986, mettant en forme et validant sa méthodologie annoncée, il réunit et anima « l’Equipe de Recherche sur le développement neuropsychologique du nourrisson », formée de M. Auzias (Maître de Recherche INSERM), I. Casati (Ingénieur de Recherche CNRS), D. Candilis (Assistante de recherche Psychologue), H. Khéroua (Assistant-Ingénieur INSERM), M. Robin (Chargée de Recherche CNRS) et D. Séchan (Technicien INSERM).

Son enseignement et les séminaires qu’il a organisés au Collège de France s’intitulent :

« Étude des bases neurologiques, morphologiques et fonctionnelles des fonctionnements psychiques ; apports de l’environnement » (1975-1976).

Thème des séminaires de l’année : les différentes formes d’observation ontogénétique.

« Les premières organisations neuropsychologiques ; cycles veille-sommeil, mouvements spontanés, posture, équilibration, déplacements, rythmes et phénomènes de répétition, stimuli, douleur et plaisir » (1976-1977).

Thèmes des séminaires de l’année en relation avec ceux du cours.

« Organisation de la personnalité et socialisation (1977-1978).

Thèmes des séminaires de l’année : désafférentations totales et partielles et socialisation

« Ontogénèse des fonctionnements neurosychologiques chez l’enfant »

(1978-1979).

Thème des séminaires de l’année : les fonctionnements chez l’enfant : théories et pratiques.

« De la fusion à l’individuation. Modes de relation et de dépendance de l’enfant à son environnement biologique » (1979-1980).

Thème des séminaires de l’année : le développement : fonctionnements diachroniques et synchroniques.

« Intérêt et ambiguïté des recherches pluridisciplinaires dans les interprétations des fonctionnements ontogénétiques humains » (1980-1981).

Thème des séminaires : réflexions sur des matériels interdisciplinaires.

Cet enseignement ainsi que l’ensemble des recherches et des publications de cette période constituent un socle solide pour la neuropsychologie du développement.

« Ajuriaguerra laisse derrière lui une école qui s’est consacrée aux aspects cliniques, pédagogiques, psychologiques du développement de l’enfant. A l’image du maître, ses élèves se retrouvent aux frontières des disciplines et tentent d’intégrer les dimensions de la personnalité et de ses désordres dans les contraintes sociales ou familiales, du développement. » (A . Berthoz).

Sa leçon terminale le 23 Mars 1981 ouvre : « Vers une neuropychologie du développement »

… « Enracinée dans la longue histoire de la philosophie, la neuropsychologie du développement a acquis (comme avant elle la psychologie) une existence propre. Mais, de même que toute science en évolution, elle a besoin, en un perpétuel renouveau, de mieux se définir pour mieux appréhender ses limites et mieux cerner ses buts. Discipline jeune, elle fait partie des sciences fondamentales et se prolonge dans des applications cliniques et d’éducation. La Neuropsychologie du Développement a besoin de se définir par rapport aux courants psychologiques, d’une part, neurologique, d’autre part.

… Il faut accorder de l’importance (sans les opposer) d’une part au potentiel que l’enfant apporte à sa naissance, d’autre part à ce que le monde extérieur va apporter à cet enfant immature tant d’un point de vue quantitatif que qualitatif afin que ce qui est possible s’accomplisse et que ce qui est probable se réalise aux divers moments de la maturation, dans le cadre de l’organisation fonctionnelle évolutive.

… Les buts des études en Neuropsychologie du Développement sont variés et s’étendent de la sémiologie neurologique jusqu’au plan des interactions affectives et sociales.

… La méthodologie générale consiste à délimiter des types de fonctionnements en ayant recours à trois démarches :

  1. faire une analyse sémiologique fine de ces fonctionnements et préciser la chronologie de leurs préformes et de leurs formes achevées,
  2. situer ces fonctionnements dans le cadre du développement neuro-moteur affectif, cognitif et linguistique du nourrisson, en les comparant à des formes analogues soit plus primitives, soit contemporaines,
  3. étudier l’ensemble des conditions dans lesquelles ces fonctionnements apparaissent : conditions maturatives, équipement de base et notamment réactivité individuelle aux afférences et aux affects, milieu physique et habitudes éducatives.

Il ne s’agit pas seulement d’établir des phases ou stades évolutifs et des échelles de développement, mais d’analyser la dynamique des transformations temporelles successives des fonctionnements, transformations qui sont le fruit de la maturation de l’organisme et des conditions que l’environnement offre à son développement.

Quant aux données ontogénétiques de la psychanalyse, elles ont été pendant très longtemps fondées sur l’élaboration rétrospective des psychanalyses d’adultes ou d’enfants d’âge relativement avancé. Pour notre part, ce qui nous intéresse à cet égard, ce sont les travaux qui portent sur l’observation précoce de l’enfant à partir de certaines données psychanalytiques. Nos recherches sont très particulièrement fondées sur les tendances constructivistes psychogénétiques de Jean Piaget et de son école, ainsi que sur les études comparatives entre le comportement animal et l’ontogénèse humaine.

… C’est à partir de la mécanique d’un monologue que l’homme devient dialoguant, c’est-à-dire présence avec et dans l’autre. C’est dans ce dialogue, et grâce à une certaine fixité du code génétique, qu’à partir d’une prospective générale, il créera avec l’aide de l’environnement son propre projet . »

Ajuriaguerra intègre la perspective historique tant en neurologie qu’en neuropsychologie qui amène à l’étude de l’ontogénèse des fonctionnements neuropsychologiques portant sur l’enfant lui-même au cours de son évolution ; étant bien entendu que la pathogénie de la dégradation, si elle suit « certaines règles formelles de rétrogénèse successive », n’est pas réductible à l’ontogénèse. La psychologie du premier âge est indissociable de la neurologie évolutive.

Dans cette leçon terminale, il choisit de traiter une série de problèmes importants du point de vue théorique, le problème des processus maturatifs constituant une des bases de discussion qu’il développe longuement, envisageant notamment le développement du système nerveux central dès la vie intra utérine, et les aspects neurobiologiques. Toute une discussion historique et toujours actuelle privilégiant des concepts différents quant à l’interdépendance des processus psychologiques et neurobiologiques, avec la diversité des points de vue plus ou moins extrêmes des théoriciens.

«…. Sur le plan général du développement, l’autonomie peut être un épanouissement et l’isolation une réduction. Ces phénomènes ne peuvent être compris que par rapport au comportement dans le sens de l’intégration en tant que reprise d’un passé vécu en fonction d’un avenir projeté (expression de Duyckaerts) ».

 

Ajuriaguerra envisage successivement :

  • « Comment fonctionne un enfant ? » ;
  • « La double organisation fonctionnelle » ;
  • « Stratégie et hiérarchie » ;
  • « Caractéristiques des mères. Comportements particuliers d’enfants » ;
  • « Importance de la notion des interactions ».

Il aborde pour finir trois problèmes théoriques importants :

  • « Le concept des universaux et la psychologie constructiviste » ;
  • « Le problème de la restauration : la plasticité fonctionnelle » ;
  • « La diversité des fonctionnements psychologiques ».

En conclusion, il souligne l’importance des recherches ontogénétiques pour la compréhension des fonctionnements psychologiques humains. Il reprécise entre autres, dans la construction active de l’enfant, les notions distinctes de potentiel de base (plus ou moins équivalent au terme de « congénital ») et d’équipement de base (plus souple que le teme de « constitutionnel » ).

« ….Il existerait des organisations non héritées qui prennent des formes plus ou moins rigides, plus ou moins particulières, à partir des modes transactionnels précoces. Il détaille l’intérêt de la notion d’ontogénèse ; les études ontogénétiques décrivant les fonctionnements soit en situations naturelles, soit en situations expérimentales, en privilégiant les études longitudinales … ( Le nourrisson, ou l’enfant étudié est en même temps le sujet et le témoin de sa modification ). Les méthodologies doivent tenir compte de l’histoire des fonctions et des déterminants qui marquent leur évolution dans le sens de la différenciation ».

A propos du problème de la continuité-discontinuité, dans la maturation et dans le développement comportemental, ce qui l’intéresse, c’est la continuité de la trajectoire à travers des réorganisations qui ne sont pas des changement du potentiel, mais des modifications de son mode d’expression. Les périodes de transition - états, périodes, stade, organisateurs - correspondent à des changements qui prennent alors valeur d’événements historiques, « mais n’ont de valeur qu’en fonction de l’importance qu’on leur accorde » (valeur statique ou bien valeur dynamique impliquant une option théorique).

… « Les ténèbres de l’enfance ne sont ni simple obscurité silencieuse, comme le veulent certains, ni clarté illuminante, comme le prétendent d’autres. Elles sont la confrontation de l’être avec le monde, la naissance d’une opacité constructive, l’ouverture de l’organisme envers sa propre structure et envers le réel, réel qu’il transforme et fait de son expérience individuelle un général transmissible et communicable. Il n’y a pas de rétroaction constructive, ni d’intériorisation, sans un vécu expériencé qui trouve un équilibre dans la confrontation entre ce qui est imposé et ce qui est choisi. Il n’y a pas de véritable construction dont les bases soient uniquement en rapport avec des réponses purement satisfaisantes, il n’y a pas de véritable gain sans faille ou sans frustration, là est la magnificence de l’éveil des premières contradictions. » (J. de Ajuriaguerra, Leçon terminale au Collège de France, 23 Mars 1981).

Références

Manuel de Psychiatrie de l’Enfant, 1980, 2ème édition entièrement refondue.

L’enseignement de Julian de Ajuriaguerra au Collège de France (1976-1981), Bulletin de Psychologie, Juillet-Août 1989, XLII , 15-16.