Geneviève Haag et Marie Dominique Amy demandent à Marcel Héraut un droit de réponse

Geneviève Haag et Marie Dominique Amy demandent à Marcel Héraut un droit de réponse suite à son éditorial « Autisme et psychanalyse : La polémique. Comment en est-on arrivé là ? » paru dans la revue Sésame Autisme no 181 de mars 2012.

Le 26 mai 2012 à Monsieur Marcel Hérault, Président de la Fédération française Sésame Autisme

 

Cher Monsieur,

Nous sommes, Marie-Dominique Amy et moi, respectivement présidente et secrétaire générale de la CIPPA, et aussi abonnées depuis longtemps à votre Revue Sésame que nous apprécions bien pour la qualité des réflexions et des informations y compris celles consacrées aux recherches scientifiques.

Vous avez eu le courage d'essayer de débrouiller la polémique "Autisme et psychanalyse", dans les pages 3 à 8 du n° 181 de votre Revue, car c'est une affaire très complexe, notamment parce qu'il n'y a pas UNE psychanalyse, mais DES psychanalyses qui s'occupent de l'autisme, tout comme il y a DES méthodes éducatives comme vous l'écrivez, et non pas une seule méthode comportementale idéalisée, d'où votre conclusion d'en juger pragmatiquement sur le terrain.

Vous nous avez nommément situées, avec l'Association qui s'est créée autour de nous en 2004, dans le rôle de réanimatrices d'une pratique psychanalytique que vous pensiez en voie de disparition ; vous en contestez radicalement la pertinence dans le champ de l'autisme, mais vous en donnez des définitions qui ne correspondent ni à nos théorisations ni à nos véritables pratiques, nous avons par conséquent à y répondre, espérant contribuer à réduire le clivage qui rend cette polémique trop "houleuse" effectivement.

Vous évoquez les belles conférences que le Pr Lemay a données en 2010 à l'appel de Sésame Autisme, et dont vous regrettez qu'elles n'aient pas davantage inspiré les travaux du groupe de travail de la HAS. Vous  en extrayez la phrase : « … Ces thérapies ainsi décrites me paraissent une page de la psychanalyse qu'il faut savoir tourner… » et vous en concluez « qu'il s'agit simplement de dire que pour la question des enfants souffrant d'une maladie neurodéveloppementale la psychanalyse n'est pas vraiment pertinente ». Ce n'est pas la conclusion du Pr Lemay qui parle de sa réserve uniquement pour les psychothérapies psychanalytiques individuelles intensives mais souligne à plusieurs endroits les apports du courant psychodynamique, par exemple à l'amélioration du contact relationnel dans les applications de la méthode Lovaas, jugée par lui beaucoup trop réductionniste à l'état pur ; et il cite de manière très positive les travaux (psychanalytiques) sur le démantèlement perceptif, sur la genèse des premières représentations, les concepts d'introjection, d'identification adhésive et projective, les investissements pulsionnels, les élaborations précoces qu'on appelle proto-représentatives. Ce qu'il combat et condamne – et nous le suivons en cela – ce sont "les hypothèses pathogéniques à partir d'observations reposant sur des idées préconçues", à partir de systèmes théoriques ne se laissant pas remettre en cause par l'observation des phénomènes cliniques eux-mêmes… Mais le Pr Lemay soutient l'importance de l'apport psychodynamique, à côté de l'apport cognitivo-comportemental et neurophysiologique, par exemple pour un rôle de consultant médiateur entre les intervenants éducatifs et pédagogiques, les parents et les diverses structures de soins, tenant compte des éléments transférentiels, et contre-transférentiels (en mots plus simples,  ce qui est donné à ressentir par les intervenants dont il est éclairant qu'ils se servent pour comprendre l'enfant) et cela ressemble beaucoup au travail que réalisent certains animateurs d'équipes dans notre courant. Il appelle à ce que chacun découvre les richesses et pas seulement les dérapages des autres et admette que seul le regroupement de données peu à peu recueillies, accompagné d'une écoute attentive des recherches les plus récentes, puisse amener une progression de nos interventions. C'est notre plus grand espoir aussi.

C'est pourquoi nous vous demandons un droit de réponse, occasion de faire davantage connaître aux parents le rôle que nous pensons pouvoir jouer dans le socle commun des connaissances (même si nos travaux ne sont pas évalués selon les critères de « L'Evidence Based Medecine ») et dans les équipes pluridisciplinaires de prise en charge qui sont évoquées dans les Recommandations. Il y a quelques années, je vous avais proposé d'insérer dans votre Revue un article précisant le type  d'accompagnement parental et de psychothérapie que nous utilisions. Vous m'avez alors opposé que beaucoup de vos lecteurs étaient trop hostiles à la psychanalyse. Mais deux ans plus tard vous avez fait vous-même dans votre Revue un appel à "libérer" la parole, et exprimé, à mon égard, un certain regret de m'avoir précédemment refusé cet article. N'est-ce pas maintenant l'occasion de le faire ?

Je vous joins le libellé de notre Droit de réponse que, conformément à la loi, nous adressons aussi directement à Mme la Directrice de votre Publication.

Veuillez croire, cher Monsieur, à l'assurance de toute ma considération.

Dr Geneviève Haag, secrétaire générale

De façon formelle

Dans la mesure où nous sommes mentionnées nommément dans cet article, ainsi que l'Association CIPPA[1] dont nous sommes respectivement, G. Haag secrétaire générale et M.-D. Amy présidente, nous pensons utile d'apporter à cet article quelques précisions et rectifications dans une intention de clarification et, nous l'espérons, d'apaisement d'une polémique dont nous déplorons, comme M. Hérault, l'aspect houleux autour des récentes Recommandations de la Haute Autorité de la Santé.

  1. M. Hérault écrit en page 3 : « Pendant ce temps là, (2011) l'autre camp (les pro-psychanalystes)  s'organisait et on a vu la naissance ou la "re-naissance"… d'associations de psychanalystes (instituts psychanalytiques de l'enfant, coordination internationale entre psychothérapeutes psychanalystes s'occupant de personnes avec autisme CIPPA …) ».En fait, c'est en 2004 que fut fondée la CIPPA lorsque des découvertes de particularités neurophysiologiques retrouvées chez des autistes ont commencé à être médiatisées, avec proclamation d'une exclusion de toute considération psychopathologique et de tout besoin de comprendre les anxiétés de ces personnes et leurs difficultés à se construire, précisément en raison de leurs troubles. L'expérience qui nous encourageait était de constater que nous aidions beaucoup d'enfants autistes à reprendre la communication, à réduire leurs symptômes, à mieux utiliser les propositions éducatives et instructives, cette articulation entre celles-ci et nos psychothérapies étant l'un des soucis majeurs de la CIPPA. Combien de fois n'avons nous pas constaté que certains apprentissages faisaient tomber des angoisses mais que l’inverse était tout aussi vrai. Certaines de ces angoisses qui avaient pu être comprises et apaisées grâce à notre approche  psychodynamique permettaient l'émergence possible de nouvelles expériences. Nous avions l'ambition, en nous regroupant, d'approfondir notre travail avec ces patients particuliers. Pour en prouver les résultats, nous avons poussé nos adhérents à se former à des évaluations standardisées, trop négligées, reconnaissons-le, dans notre milieu, et à partir de 2008, à rejoindre le Réseau Inserm de Recherches Fondées sur les Pratiques Psychothérapiques organisé par le Pr. Falissard et le Dr. J. M. Thurin, groupant 80 enfants autistes à étudier sur un an. Les résultats partiels (40 évolutions terminées) sont très encourageants. D'autre part, il y a à relever dans cette citation de Monsieur Hérault qu'il développe incomplètement la dénomination de la CIPPA car il omet qu'elle inclut des "Membres associés" qui sont des professionnels travaillant dans le champ de l'autisme sans être pour autant psychanalystes ; nous tenons beaucoup à leur présence qui atteste l'esprit d'ouverture de la CIPPA.
  1. M. Hérault écrit en p. 4 : « Les psychothérapies d'inspiration analytique qui s'adressent aux enfants (sous entendu autistes) étaient en voie de disparition il y a quelques années ». En fait les psychothérapies telles que nous les pratiquons sont en développement comme le montrent la fréquentation de nos séminaires, les nombreuses demandes de nos supervisions depuis plus de 30 ans, et l'augmentation du nombre des membres de la CIPPA et de l'audience de ses réunions.
  1. M. Hérault poursuit : « Aujourd'hui en France, c'est Geneviève Haag qui fédère ce mouvement (avec M. D. Amy) ». En fait nous ne fédérons aucunement la diversité en France de tous ceux qui se déclarent psychanalystes et interviennent auprès des autistes, et la CIPPA, qui est indépendante de toute autre association, ne rassemble que les professionnels de l'autisme, psychanalystes et aussi non psychanalystes, qui, se reconnaissant pleinement dans ses statuts, ses références théoriques et son mode de prise en charge bien défini de l'autisme, y adhèrent.
  1. M. Hérault écrit ensuite : « Cette "psychanalyse" s'oriente de plus en plus sur le vécu sensoriel et sur la psychomotricité (travaux du Pr Bullinger) ». Nous affirmons que le courant psychanalytique auquel nous nous référons a décrit dès les années 70 les particularités sensorielles des enfants autistes : le psychanalyste D. Meltzer a bien décrit chez les autistes le démantèlement de la perception polysensorielle, normalement unifiée, en ses composantes dispersées, l'autiste s'accrochant sur une ou deux d'entre elles dans ses stéréotypies (cf. D. Meltzer, 1975, Explorations in Autism, trad fr. 1980 : Explorations dans le monde de l'autisme, Payot, réédité depuis) et parallèlement à lui, la psychanalyste F. Tustin a remarquablement décrit les clivages qu'introduisent les enfants autistes entre les extrêmes dans chaque échelle des sensorialités, par exemple pour le tactile entre le dur et le doux, pour le thermique entre le chaud et le froid, et décrit les ressentis corporels de chute et de se répandre comme un liquide (cf. F. Tustin, 1986 Autistic Barriers in Neurotic Patients, trad. fr. 1989, Le trou noir de la psyché, Le Seuil, et autres livres d'elle au même éditeur). C'est dès les années 1990 que nous avons croisé, avec un intérêt mutuel, les travaux du Pr. A. Bullinger. Quant au pôle tonicomoteur décrit par lui dans ses études de la sensorimotricité (cf. son livre, 2004, Le développement sensori-moteur de l’enfant et ses avatars, Erès), de notre côté nous nous y intéressions depuis longtemps en raison de l'importance des manifestations hypo et surtout hypertoniques des autistes, et des réponses toniques en tant que premières manifestations de l'émotion. A. Bullinger sera le conférencier invité par la CIPPA en juin prochain au sujet de la sensorialité labyrinthique, qui est en cause  dans les vécus importants de chute dont la reconnaissance  et la compréhension dans nos séances psychothérapiques est appréciée par nos patients.
  1. M. Hérault écrit p. 5 : « Les entretiens avec les familles (….) dans lesquels les familles souhaitent (…) avoir en face d'eux un médecin qui apportera des connaissances et des savoir-faire ; or ce n'est pas sous cet angle que se déroulent les entretiens "psychanalytiques", ce qui évidemment contribue à creuser le fossé entre les professionnels (psychanalystes) et les parents ». Mais, lorsque nous parlons de partenariat avec les parents, il ne s'agit pas comme le laisse entendre M. Hérault, d'un accueil psychanalytique ; il s'agit, lorsque nous sommes en position de consultant initial, de partager avec eux observations et compréhensions de leur enfant et interrogations, d'organiser les bilans nécessaires pour, s'il y a lieu, confirmer le diagnostic et recourir à des consultations neuropédiatrique et génétique, et de leur proposer, sur la base de notre expérience et de nos échanges interdisciplinaires, un projet de prise en charge pluridisciplinaire comprenant, de façon individualisée, approches éducatives, psychomotricité, orthophonie et une place possible pour une psychothérapie (cf. sur le site « cippautisme.org » l'article de D. Amy « Le partenariat avec les parents » où elle décrit l'Unité d'accueil et de soins qu'elle a crée en 1997 pour de très jeunes enfants autistes, création qui déjà à cette époque articulait partenariat avec les parents, stratégies Teacch et Pecs, psychomotricité, orthophonie, psychothérapie, avec des temps de crèche, de halte garderie ou d'école maternelle, modèle qui depuis s'est largement répandu). Tout au long de l'évolution, les entretiens avec les familles doivent selon nous conserver cet esprit d'observation et de compréhension partagées, en accueillant éventuellement les confidences spontanées des parents sur les difficultés émotionnelles et les résonnances très personnelles suscitées par l'état de leur enfant (cf. sur le site de la CIPPA l'article de G. Haag Comment les psychanalystes peuvent aider les enfants avec autisme et leurs familles).
  1. Page 5, M. Hérault se dit « Agacé » que les psychanalystes aient « préempté le champ entier de la psychologie : pour eux c'est une évidence qu'il n'y a pas de psychologie autre que la psychanalyse ». Nous protestons contre cette généralisation. Ce n'est pas d'aujourd'hui que nous échangeons avec les chercheurs des sciences cognitives, notre relation avec A. Bullinger en étant un exemple. Pour les plus anciens d'entre nous, c'est depuis la fin des années 80 que nous avons, au sein de deux Réseaux successifs INSERM, dialogué sur des recherches, notamment celles de Jacqueline Nadel sur l'imitation, de Colwyn Trevarthen sur les échanges émotionnels précoces dans le dialogue vocal, et d'autres. Au sein de la CIPPA, des groupes de travail sont consacrés aux évaluations standardisées, à l'émergence du langage chez les autistes, aux apports des sciences cognitives et des neurosciences, une large ouverture y est ainsi faite aux travaux non psychanalytiques. Mentionnons notre intérêt pour les travaux remarquables des cogniticiens développementalistes sur l'apprentissage, l'attention conjointe, le rôle du jeu etc. Soulignons également qu'à nos trois réunions annuelles de Coordination  sont entendus des intervenants - chercheurs en sciences cognitives ou en neuro-sciences tels que: Nadia Chabane, Jacqueline Nadel et  Bruno Gepner....
  2. M. Hérault s'inquiète dans la même page de « l'impact négatif » que peuvent avoir « les représentations liées à une grille de lecture de la psyché humaine qui découle d'un courant psychanalytique », puis il énumère deux positions  préjudiciables, centrées soit sur le symptôme, en tant que langage, « qu'il faut laisser se développer pour mieux le comprendre, espérant que de lui-même il disparaîtra avec la souffrance affective qu'il est censé révéler », soit "on se centre sur l'enfant et sa famille, et on va chercher ce qui pourrait expliquer telle attitude, telle manifestation", ces deux interprétations étant mises en opposition avec « mettre tous ses efforts à connaître le mode de fonctionnement autistique pour être utile aux personnes avec autisme…" . Nous répondons que le danger d'une interprétation simpliste d'un symptôme ne fait pas partie de notre pratique ni non plus la recherche d'une cause de l'autisme dans les fantasmes inconscients des parents, ce qui a alimenté une révolte bien compréhensible de beaucoup de familles qui continuent à penser que psychanalyse = culpabilisation des parents. Le repérage des particularités du fonctionnement autistique, nous y participons, par exemple pour les particularités sensorielles évoquées plus haut. Notre travail spécifique concerne les efforts des sujets autistes pour traverser les étapes développementales avec leurs conflits spécifiques que connaissent les psychanalystes, et pour intégrer leur personnalité, malgré les handicaps sensoriels, cognitifs et émotionnels que nous contribuons à réduire en reconnaissant et interprétant les différentes manifestations d'angoisse et de dépression, souvent inévitables, intégration qui commence celle de l'image du corps souvent très perturbée chez les autistes,  Il s'agit aussi de traverser la prise de conscience de la différence, éventuellement de la déficience, avec des moments de crises identitaires, notamment à la puberté et à l'adolescence, qu'il est bien utile d'aborder en pluridisciplinarité, y compris avec l'apport de la psychanalyse sur le développement de la sexualité.

 

Ces mises au point nous ont paru nécessaires dans la mesure où il nous semble qu'il y a chez beaucoup de parents et professionnels trop de méconnaissance de ce qu'est notre approche psychanalytique des personnes autistes.

G. Haag et M.-D. Amy, le 25/05/2012

 

[1] Coordination Internationale entre Psychothérapeutes Psychanalystes et Membres associés s'occupant de personnes avec Autisme (loi du 1/07/1901).