Créativité dans la rencontre entre parents et professionnels

Un binôme aux assises de Nîmes. M.D. Amy et M. Maffrand

Lors des Assises Nationales du Médico-social à Nîmes les 8 et 9 novembre 2012, organisées par l’Association de Psychiatrie Institutionnelle sur le thème de la créativité et les institutions, nous avons souhaité que professionnels et parents puissent témoigner de cette question. Convaincus que dans la prise en charge des enfants souffrant d’autisme la relation entre parents et professionnels est indispensable, non seulement dans le nécessaire accord sur les objectifs des prises en charge, mais aussi dans la mise en commun des observations, des hypothèses interprétatives et leurs explicitations, nous avons choisi de solliciter Mmes Marie Dominique Amy et Marie Maffrand pour échanger sur cette question. Mme Marie Dominique Amy est psychologue-psychanalyste, présidente de la CIPPA, auteure de nombreux ouvrages, notamment Comment aider l’enfant autiste (Dunod 3ème édition). Mme Marie Maffrand, mère d’enfants souffrant d’autisme, militante et présidente de l’association Sésame-autisme Roussillon s’est engagée dans la création d’établissements pour accueillir des personnes souffrants d’autisme en s’appuyant sur une collaboration avec des professionnels. Si leur rencontre, leurs échanges ont été un des moments très émouvants de ces journées, ce double témoignage vient souligner s’il en était besoin combien cet engagement, cette alliance à des places différentes, participent à la création du socle nécessaire au soutien éducatif et soignant des personnes souffrant d’autismes.

Georges Lançon, pédopsychiatre.

 

Pour introduire mes propos, je citerai la définition du Larousse sur la créativité : la créativité est le pouvoir d’inventer, d’être créatif.

Ce sur quoi je vais insister aujourd’hui, puisqu’il s’agit de/des autismes, c’est sur cette notion de pouvoir. Elle est centrale, je dirai même cruciale concernant ces enfants et par rebond tout  parent et toute institution.  En effet, pourquoi la fonction créative n’émerge-t-elle pas chez l’enfant autiste spontanément ? Qu’est ce qui bloque son  pouvoir de créer, car je crois que l’on peut parler d’un véritable blocage et que pouvons-nous faire, parents et professionnels pour lui en restituer la capacité?

Notre intervention à Mme Maffrand et à moi-même, s’intitule "la créativité dans la rencontre entre parents et professionnels". Mais avant d’en arriver là, et avant de poser quelques jalons concernant l’importance, je dirais même la nécessité absolue du partenariat entre parents et professionnels, je voudrais retracer brièvement le parcours de cette créativité qui est omni-présente dès les premiers jours de la gestation et qui est constamment stimulée par des vécus communs entre la mère et le fœtus. Donc, d’emblée je me situe dans le champ d’une créativité qui ne serait jamais solitaire.

Concernant la période néo-natale, l’acte de créer, pour certains chercheurs, commence chez le bébé avec l’émission vocale. Il me semble que son pouvoir de créer est plus précoce. Il crée dès qu’il se met en mouvement -certains de ces mouvements ayant déjà été expérimentés dans l’utérus- et que chez lui, s’installe un langage corporel. Il invente, il raconte avec ses mains, ses pieds, ses regards et ses sourires même non dirigés. Avec ses capacités d’extension puis d’enroulement, il montre aussi ses états de bien-être ou de mal-être.

Cependant, à ce stade, il n’est pas maître de son inventivité, je dirais même de sa narrativité. Il se raconte avec son corps comme il le fera plus tard avec ses mots, mais pour qu’il comprenne ce qu’il raconte, pour qu’il y mette du sens encore lui faut-il un interprète, un traducteur, quelqu’un qui l’aide à inscrire ce qu’il montre ou fait entendre dans une chaine signifiante. Tout être humain doit comprendre l’autre pour pouvoir se comprendre lui-même. On le sait bien, un sujet naît de ses capacités intersubjectives et non le contraire. Voilà qui est bien difficile pour un enfant autiste qui ne sort pas de son isolement et ne semble pas être sensible du tout à ce que son environnement familial lui propose.

Le psychanalyste anglais Wilfrid Bion disait que les bébés naissent dans une « terreur sans nom ». Pour qu’un bébé sorte de l’anxiété qu’on peut en effet imaginer massive, une anxiété dans laquelle le plonge  soudain l’amalgame des sensations multiples auxquelles il est  confronté, il va lui falloir en retrouver et en sélectionner certaines afin de se rassurer et de s’apaiser. Là, à nouveau, il a besoin de l’autre. On sait aujourd’hui que les fonctions sensorielles s’ébauchent toutes durant la période intra-utérine et ceci dans l’ordre suivant: le tact, l’olfactif et le gustatif, l’audition et enfin la vision. On sait aussi que le fœtus peut sucer son pouce dès la 16eme semaine, que dès la 12eme semaine  il recherche les sensations péri-cutanées et que pour cela, il peut par extension se coller et se décoller de la paroi utérine. On sait qu’il ressent fortement les balancements de la marche, les rythmes cardiaques et respiratoires de la mère, qu’il entend sa voix tout autant de l’intérieur par résonnance que par retour de l’extérieur et de façon très claire. On sait aussi qu’il est sensible aux sons environnants habituels. Je me souviens d’un nourrisson vivant à côté de l’aéroport d’Orly, à chaque passage des avions au-dessus de la maison, je sursautais mais le petit jeune homme ne bronchait pas.

Enfin, les grands prématurés nous ont montré qu’ils différencient les goûts. Ils ont des expressions différentes lorsqu’on leur met du sucre ou du sel sur la langue. Or, l’enfant autiste semble parfois ne rien différencier entre la nourriture et n’importe quoi d’autre. Il peut n’avoir aucun investissement de la zone buccale. J’ai souvent été frappée d’observer que, lorsque je proposais un biberon à un enfant autiste ou lorsqu’il le trouvait par lui-même, il mordait la tétine, crachait dessus, la jetait pour boire au goulot. J’ai alors pensé que ces enfants tellement murés en eux-mêmes, ne pouvaient pas bénéficier de ce que Freud attribuait au temps du nourrissage, à savoir la fonction d’étayage. Ce moment où l’enfant apprend, en tétant, à se connaître dans le regard de l’autre et à vivre ses premières interactions. Dans ces conditions-là, lorsque le bébé semble ne pas être sensible à cette contenance, à ce regard, à cette chaleur, la succion, demeure à l’état de simple réflexe et disparait comme les réflexes de Moro et de grasping. Si j’y insiste, c’est parce que ce moment de la tétée est, par excellence, le moment où surgit  le relationnel et, comme l’on crée tout autant pour l’autre que pour soi- même, si ce relationnel ne s’ébauche pas, le bébé n’apprend pas créer, il n’en ressent pas la nécessité ! Dans mon expérience, j’ai observé des bébés qui, pendant ce moment-là, détournaient leur regard et manifestaient parfois de telles chutes toniques que tout portage devenait très difficile car ils étaient incapables de se positionner, de se lover dans les bras.

C’est cette articulation indispensable entre les vécus du foetus et ceux que l’enfant va devoir repérer dans la réalité extérieure que j’ai appelé les agrippements primaires.  Je crois que l’on peut dire que pour que le bébé comprenne et intègre la nouveauté, il doit nécessairement pouvoir s’appuyer sur du déjà connu.  S’il en est capable, il va devenir progressivement possible pour lui de coordonner ses sensations et ses émotions internes avec sa compréhension du monde extérieur. S’il n’en est pas capable, nous constatons que cette articulation, cette comodalité sensorielle  lui manque et c’est bien le cas chez les enfants autistes. Il y a toujours chez eux un sens privilégié qui ne s’articule pas avec les autres. Ex: Si vous souhaitez me parler de la salle et que je n'ai pas mes lunettes,  je vous entendrais moins bien; de même si  je vous propose de manger quelque chose que vous aimez beaucoup mais de façon dégoûtante, en aurez vous encore envie ?

C’est l’une des raisons qui plaident largement en faveur de projets individualisés et différenciés. Ce projet devra s’appuyer sur la capacité sensorielle majeure de cet enfant-là et progressivement l’habituer à ce qu’elle s’associe à d’autres. Les parents ne font pas autre chose quand ils miment ou lorsqu'ils bruitent  ce que fait leur bébé.

Nous constatons également chez eux une grande anhistoricité. Il n’y a pas d’avant et ils ne se projettent pas vers l’avenir. Ils sont comme figés dans le hic et nunc. C’est pourquoi, c’est souvent tellement difficile de les amener à faire des relations de cause à effet et plus long encore de les aider à généraliser. Les prémices de la compréhension du temps linéaire se construisent, elles aussi, in utero. Ceci grâce aux  rythmes continus comme les rythmes cardiaques et respiratoires, et discontinus comme les borborygmes digestifs ou autres bruits. Grâce également à des sensations qui selon ses propres rythmes biologiques apparaissent ou disparaissent : la faim, le sommeil, etc. On peut tout à fait supposer que, lorsqu’après sa naissance, le bébé manifeste ses premiers besoins, ceux-ci soient dépendants tout un temps de ses rythmes internes. Bien des questions se posent donc concernant l’extrême difficulté que l’enfant autiste manifeste par rapport au temps…

L’absence de liens que semble vivre le bébé autiste entre l’avant et l’après de la naissance est sans doute responsable des difficultés extrêmes qu’ont ces enfants à intégrer en eux-mêmes des images, des représentations internes de la réalité et d’y associer d’une part leurs propres émotions et d’autre part celles de leurs interlocuteurs. Actuellement, des recherches sont entreprises pour essayer de mieux comprendre les raisons pour lesquelles ces premiers repères ne font pas liaison chez l’enfant autiste, le privant ainsi de ses capacités d’élaboration.

Tout ceci engendre également une incompréhension de ce que son environnement familial lui propose. La terreur dont parlait W. Bion persiste en lui et l’amène à s’enfermer dans une carapace suffisamment solide pour que rien n’y pénètre. C’est à ces mêmes difficultés que l’on peut  attribuer  leur immuabilité.  Tout ce qui bouge, tout ce qui change les met en péril. Alors comment un enfant peut-il devenir créatif dans ces conditions-là ?  Comment des parents et plus tard d’autres intervenants peuvent-ils aider l’enfant à le devenir ?

J’en reviens à Bion. Il appelait les mouvements et les réactions créatives du nourrisson, des éléments béta et il disait que la fonction parentale, en plus du holding, de la contenance, du cadre proposé consistait en ce qu’il appelait la fonction alpha. Ce rôle attribué aux parents est similaire à celui  de traducteur et d’interprète que je leur ai attribué. Il faut commenter, imiter, mettre des mots, des gestes, sur ce que produit le bébé. Il faut en quelque sorte co-créer avec lui. Mais il ne s’agit pas seulement de lui commenter ses capacités cognitives. Il s’agit aussi de l’amener à comprendre les sensations, les affects qui y sont rattachés. On sait aujourd’hui que le circuit neuronal synaptique se construit sur l’expérience individuelle et les émotions qui s’y rattachent. L’épigénétique nous apprend que nos gènes sont tributaires de notre environnement. Or l’enfant autiste vit, dans un premier temps un clivage total entre le psychique et le cognitif. C’est donc à nous parents et professionnels de l’aider à les articuler ensemble.

 

Que deviennent les parents lorsqu’un bébé semble complètement fermé à leurs sollicitations, ne sollicite jamais lui-même et n’anticipe pas ?  Certains de ces bébés, de ces petits enfants peuvent être désespérants. Ils  peuvent donner le sentiment qu’ils ne ressentent rien, ne montrant ni plaisir ni déplaisir. Ils sont dans un ailleurs indéfini.  Un ailleurs ou nous ne savons pas comment les rejoindre et avons le sentiment de ne pas exister, ce qui est faux ! Dans ces conditions, comment va pouvoir s’installer entre parents et enfant un dialogue sensori-moteur puis verbal. Dialogue dont émerge la créativité. Je me souviens d’une mère me lançant : « Mme Amy vous allez être très fâchée mais il faut que je vous dise que je ne lui parle plus, j’ai l’impression qu’il ne comprend rien ». Je raconte cette petite séquence à l’infirmière qui s’occupe de l’enfant dans ma petite unité et elle s’exclame : « Ah ! moi non plus, c’est pareil !» A ma rencontre suivante avec la mère, je lui restitue la réaction de l’infirmière. Elle me répond « Ah bon, si une professionnelle peut être aussi découragée que moi, alors ça me soulage ! »

Ce qui est particulièrement difficile à gérer, c’est l’absence de désir chez l’enfant. Or, c’est du désir que naît le créatif. Pendant tout un temps, les psychanalystes ont cru qu’il fallait attendre l’émergence du désir sans chercher à le solliciter. Or, s’il y a une chose qui ne naît jamais seule chez un enfant autiste, c’est bien le désir. A nous de le stimuler, de le créer par nos réactions, nos commentaires. Faire semblant, faire de l’humour, surprendre peuvent déclencher des moments magiques !  Se saisir des stéréotypies pour les intégrer dans un jeu que l’adulte invente et auquel l’enfant va progressivement adhérer, c’est magique aussi et l’on crée ensemble. Dans un premier temps, un enfant doit aussi avoir envie d’imiter et j’insiste sur l’imitation spontanée, car bien des fois, si l’on sait s’en saisir, elle peut devenir réciproque et un jeu s’installe. Il ne s’agit pas de demander à l’enfant d’imiter, car les trois quart du temps, on se heurte à une fin de non-recevoir.

D’où l’importance des notions de partage et d’interaction. Les enfants, adolescents, adultes autistes qui ont du mal à évoluer restent très bloqués par rapport à ces fonctions pourtant indispensables puisque (et j’y insiste encore !) l’on crée toujours à la fois pour soi-même et pour l’autre. Or, si cet autre n’existe pas, la création peut rester lettre morte. Le psychanalyste Paul-Claude Racamier, parlant de l’espace auquel tout enfant doit atteindre pour aller vers une indispensable tiercéité, dit en substance : « Au début c’est du 1 puis du 2 et enfin du 3 ». Les personnes atteintes d’autisme ont déjà beaucoup de mal à quitter le 1 pour le 2 et plus encore pour passer du 2 au 3. Or le 3 c’est l’espace de la communication et de la création.

J’en viens maintenant à aborder la rencontre entre parents et professionnels. Je vais l’aborder sous deux axes : celui du  partenariat et celui de la politique de réseau qui est tout autant essentielle. Je n’ai jamais imaginé pouvoir travailler avec un enfant autiste sans rencontrer ses parents au minimum toutes les trois semaines, sans leur téléphoner si une réaction, un comportement nouveau apparaissait et que je n’y comprenais rien, sans que le projet individuel soit établi dans une relation étroite entre l’équipe et la famille. Un projet ne peut se construire que sur un temps d’observation suffisant pour que parents, enfant et institution apprennent à se connaître et que la confiance s’établisse. Il faut une véritable cohésion et que celle-ci aboutisse à un consensus d’équipe.  Si chacun procède de manière différente voire même opposée concernant un même objectif, l’enfant explose et trop souvent s’enfonce dans la régression au lieu d’évoluer. D’où la nécessité d’un projet construit en commun.

Mais, ce sur quoi je veux insister, c’est sur l’importance qu’il y a à construire un projet ensemble. Ces enfants sont suffisamment différents les uns des autres dans l’expression de leur autisme, pour qu’un projet ne ressemble jamais à un autre. Mais, pour qu’il en soit ainsi, encore faut-il que nous gardions intactes nos capacités créatives, nos capacités d’imagination et d’invention, toutes fonctions tellement complexes avec ces enfants qui parfois nous vident complètement.  Les risques de tourner en rond, de ritualiser deviennent alors ravageurs. Mais lorsque l’information circule, lorsque l’on apprend que telle ou telle situation a provoqué une inquiétude démesurée ou un plaisir évident à un enfant, il y a une sorte de phénomène d’écho qui s’installe et nous aide les uns et les autres à rebondir et à explorer une piste nouvelle. Grâce à cette constante collaboration, on arrive à mieux penser, agir et créer ! Cette circulation de l’information suppose une politique de réseau claire et qui  n‘induise pas de confusions. S’il y a confusion des compétences et des places de chacun, cela peut tourner à la catastrophe. Je me souviens d’une situation tellement complexe que j’y ai pris la place de l’assistante sociale, celle-ci donnant le diagnostic et l’éducatrice proposant des interprétations psychanalytiques sauvages. Moment difficile…. C’est pourquoi, lorsque j’entends des professionnels me dire que les parents font partie de l’équipe, je ne suis pas d’accord. Les parents doivent, bien entendu, être nos partenaires, mais leur rôle n’est pas le nôtre et vice versa. C’est ensemble et chacun selon nos propres compétences, que nous devons nous projeter dans l’avenir de cet enfant-là. Il nous faut imaginer, inventer ce que l’on souhaite lui proposer comme outils psychiques et cognitifs. Des outils qui vont lui permettre de sortir de sa rigidité, d’aborder le pré-symbolique, qui précède le langage puis le symbolique lorsque celui-ci émerge, en un mot, de devenir créatif.  Je vous propose un slogan : « Pour qu’il devienne créatif, soyons créatifs ensemble ! »

Juste une petite anecdote pour illustrer ce slogan. J’organise une synthèse pour un enfant en extrême difficulté. Son corps n’existe pas, il a 7 ans et demeure incapable de montrer son nez, sa bouche… La monitrice d’équitation assiste à cette synthèse et elle va créer. Elle va le faire monter sur le poney et lui dire, caresse lui les cheveux, tapote lui le nez et le ventre, caresse lui les jambes….  Trois semaines plus tard, il peut nous montrer les différentes parties de son propre corps.

Je vais rapidement conclure. Mon expérience est longue car cela fait maintenant plus de 37 ans que j’accueille des enfants autistes et leur famille. Je n’ai jamais pu travailler sans que le cadre que je proposais ait été soumis aux parents, afin qu’il y ait des liens qui s’ouvrent sur une constante continuité entre eux et moi. Continuité qui, bien entendu doit concerner aussi l’équipe institutionnelle. Il ne s’agit pas de se copier, de faire la même chose exactement mais il faut qu’un esprit commun nous anime. Si nos regards sur l’enfant divergent trop, nos approches seront, elles aussi trop différentes. Et ceci dès que l‘on aborde le sens à donner au langage corporel ! Je pense aussi que doit toujours être clairement expliquée et commentée aux parents ma démarche psychanalytique.  Il faut  qu’ils aient conscience que les abords cognitif et psychique sont à travailler ensemble. Je ne sais pas si les personnes atteintes d’autisme rêvent, je n’en ai jamais entendu un me le dire, or le psychanalyste anglais Donald Meltzer nous dit que « la fonction du rêve, c’est l’action de la discrimination entre monde externe et monde interne » et nous savons combien pour certains de ces enfants, cette discrimination est complexe. Ils rient, pleurent, se roulent pas terre et ne savent pas pourquoi ! Meltzer nous dit aussi que « la vie du rêve est comme le théâtre de la création ». A nous dans un premier temps de créer ce théâtre, de rêver l’enfant en nous, puis de rêver pour lui avant de réussir à le faire rêver avec nous. Pour cela, je suis convaincue qu’il ne faut jamais mettre un frein à sa spontanéité naissante,  (ce qu’hélas j’observe parfois) mais au contraire qu’il faut toujours s’en saisir et la favoriser autant que faire se peut, car elle est le moteur essentiel de sa créativité.

Marie Dominique Amy

 

Je m’appelle Marie Maffrand, je suis maman de jumeaux monozygotes aujourd’hui trentenaires, grand prématurés et diagnostiqués pour faire vite pour l’un à 4 ans : autisme de Kanner donc diagnostic précoce pour l’époque, et pour l’autre TED de haut niveau à 16 ans (il a été jusqu’en BAC).

Ce sont les mots et les écrits des pédopsychiatres et pédiatres, qui ont accompagné ma demande de connaître vite contre quoi nous allions nous battre et pour qui nous allions le faire ensemble et chacun à sa place, avec nos expériences partagées et surtout nos questions à partager.

J’ai eu la chance d’être déjà mère avant eux, Laure, leur sœur ainée de deux ans et donc de connaitre déjà la relation du nourrisson.

Loïc vit aujourd’hui dans un FAM de petite taille (à taille humaine) et est le « dominant » dans la relation gémellaire : il l’a été dans la couveuse (ex : coup de poing en s’étirant, dans l’œil de son frère couché près de lui ) et peutêtre déjà dans l’utérus puisqu’il «affamait » son frère -1kg et 800g.

Nils travaille dans la restauration : un restaurant-traiteur de qualité tenu par des personnes autistes et vit dans son logement indépendant.

Tous deux sont des littéraires : Loïc à travers la radio « France-Culture » (surtout la nuit pendant ses sommeils en fractionnés ) dès l’âge de 5 ans et Nils au même âge à travers ses lectures : Jules Verne, Victor Hugo et le Journal Le Monde.

Je suis Présidente de Sésame Autisme Roussillon, que j’ai créé il y a 25 ans avec un médecin pédopsychiatre devenu un ami cher, un parent d’adulte sans solution à l’époque, une éducatrice spécialisée et une administratrice de la DDASS à la retraite, donc j’anime depuis ce temps tant dans le secteur médico-social que sanitaire. Cela se traduit par des responsabilités au sein du Conseil de Surveillance et de CRU dans les Hôpitaux et au sein de la MDPH 66 où plusieurs médecins généralistes et pédiatres et psychologues préparent leur DU à Montpellier.

Nous avons créé un ESAT, un Foyer d’Hébergement et un Foyer d’Accueil Médicalisé spécifiques, et aidé à la création de 2 CLIS TED, en attente d’une ULIS, d’une MAS spécialisée ( toujours les financements ) et avons les projets d’un GEM ASPERGER, d’une section autismes de haut niveau et d’une » maison » pour personnes handicapées vieillissantes …

Pour rejoindre Marie Dominique AMY dans son propos que j’apprécie dans le fait qu’elle cite les forces de créativité entre nous et envers l’enfant, je poserai la question simple : que pouvons-nous faire Parents et Professionnels pour restituer à cet enfant dit vulnérable la capacité de créer ?

Question qui pose déjà positivement la relation, qui peut être compliquée, de partenariat  entre nous.

L’Image de communication que pointe Marie Dominique AMY entre la "déjà mère" et le fœtus est encore plus parlante lorsque les mères concernées ont l’impression à travers leurs enfants qui paraissent si étranges, différents, que tout ce qu’elles ont « parlé » lors de leur grossesse, est peut-être parti dans un néant. Notre bébé nous a-t-il entendu ? Qu’en est-il resté ? Quelle empreinte puisque dans la vie concrète, il semble ne pas nous comprendre, ne pas être réceptif ? A nous, aux autres ?...

Notre enfant qui ne veut pas se laisser toucher et approcher l’autre, même sa mère… où est la joie chaude de nourrir un enfant (allaitement ou biberon) ? Elle n’est pas vraiment là… Le bain complice, caressant envers notre bébé... pas là non plus... La tendresse du câlin contre son cœur, les bras enveloppants, surtout pas : presque interdits… Plonger les yeux dans les yeux avec les sourires particuliers du nourrisson : inexistants… et pourtant un regard attrapé en vol, une petite main qui s’accroche au poignet, un sourire serein quand le sommeil arrive enfin et là on se dit qu’il faut s’accrocher, que quelque chose reste possible…

Et c’est avec ces manques que nous nous tournons vers les professionnels, quand nous nous sommes aussi lassés de tous les bons conseils certes généreux, en général amicaux, mais au bout d’un certain temps culpabilisants de la proche famille, des amis, des voisins, des autres mamans qui s’inquiètent pour un simple rhume de leur enfant si normal mais qui trouvent notre questionnement exagéré face à notre bébé distant…

C’est ce questionnement, voire cette foule de questions qui nous assaille, qui va devenir le pont avec les professionnels. Qu’allons-nous trouver ensemble pour que l’enfant soit plus avec nous ? Avec les autres ? La société … On parle beaucoup d’accessibilité universelle : la compréhension de l’autre avec l’acceptation est le premier échelon…

Bien entendu, les parents, la mère au départ, le père, la fratrie quand elle existe, les grands-parents, chacun à son niveau va tenter de traduire ce que semblent exprimer malgré tous les silences, l’apparente indifférence, ou au contraire les cris discontinus, les troubles du sommeil, de nutrition, les intérêts quasi obsessionnels pour certains objets ou des sons, le refus du vêtement et,ce que nous taisons par pudeur plus tard, l’automutilation et la coprophagie parfois.

Ce rôle de traducteur, on le retrouve aussi chez les parents de polyhandicapés et tous les non- disant pour une raison ou une autre…et la langue des signes n’est pas toujours adaptable ou adaptée.

Ce rôle de traduction nous oblige à être créatif dans notre relation parent-enfant bien au-delà de la relation "normale" que nous imaginons ou avons vécu avec d’autres enfants non touchés.

Ce rôle va durer jusqu’au bout pour certains d’entre nous et nous conduit à rencontrer des professionnels de tous secteurs, car la personne autiste a besoin de nous.

Et c’est avec tous les professionnels différents (le rôle des taxis VSL qui accompagnent, le moniteur en équitation ou la piscine, le prof de musique… la technicienne de surface souriante… et autres rencontres de la vie…) que nous devons être innovants dans nos réponses. Car échanger entre parents ne suffit pas, car ce qui fonctionne pour la petite Rébécca ne fonctionne pas avec Arnaud. Cette créativité doit s’adapter à des choses simples, concrètes et "bouger" avec l’évolution individuelle de chaque enfant.

Les personnes handicapées par suite d’autisme et je sais que je prêche ici des convaincus, ne sont pas des clones .

Ce côté concret, les premières hospitalisations à domicile ont demandé une indispensable créativité avant de songer à toute prise en charge en établissement quel qu’il soit (quand cela était vraiment nécessaire et adapté) mais aussi par manque de solutions quand la famille est épuisée… Aider la mère (en général) à s’approprier avec l’enfant cet espace commun tissé de sentiments, car je tiens à saluer tous les papas qui sont présents, acteurs fabuleux auprès de leur enfant vulnérable et de la famille, dont on parle peu et notamment de leur douleur aussi, chagrin qu’ils ne peuvent pas toujours partager pris par leur rôle de protecteur …

Proposer peu à peu dans l’ordre du possible. Qu’il y ait l’adhésion commune à l’interprétation des signes d’une part et d’autre part aux réponses aux besoins de l’enfant.

Il faut ensemble élargir, chacun à sa place, l’horizon des intérêts de l’enfant mais toujours en douceur et là, bien entendu, c’est notre patience de parent qui est mise à l’épreuve. Une anecdote : mon fils n’a jamais supporté que je propose les mêmes choses éducatives à la maison que celles proposées par les professionnels qui l’accompagnaient.                                                     

Comment être avec notre enfant en acceptant l’aide et le regard de ce tiers qu’est le professionnel? Conserver le naturel est important car notre enfant nous connaît bien, il perçoit bien qui nous sommes.

Nous rions  souvent entre mamans sur la tierce personne qui est toujours là et que les autres parents d’enfants dits normaux n’ont pas à connaître. Les petits travers que nous remarquons les petits tics…C’est notre exutoire, cela nous rassure, certainement, en même temps nous avons à fuir notre colère, notre douleur qui se traduit souvent par une sensation d’injustice : « Pourquoi Moi ? Pourquoi Nous ? » Je me permets parfois de répondre lors de nos goûters ou dîners parentaux : et pourquoi le voisin/la voisine, serait-ce plus juste ? La patience du professionnel est de prendre en compte nos questions incessantes, nos doutes, nos craintes, nos exagérations et aussi notre pertinence aigüe !

Créativité ? Adaptabilité ? Il faut nous tendre la main pour le mieux-être, le mieux vivre de ces enfants qui en fin de compte le restent peu de temps et mon sentiment fort et mon combat est que les adultes autistes ne soient pas oubliés de cette recherche de réponses multiples.

Nous devons continuer à faire appel à notre esprit d’inventivité dans l’accompagnement et nous devons nous intéresser toujours à cette logique qui leur semble propre, à leur thermomètre d’émotions et aussi à leur vision de notre réalité pour aller vers eux.

En tant qu’être humain, en dehors de ma maternité personnelle, les personnes handicapées par suite d’autisme(s) m’ont beaucoup enrichie et grâce à elles, je sais que je ne suis pas passée à côté de certaines choses qui font la vie et notamment l’ardeur positive, la pugnacité et elles m’ont appris à partager avec vous, pour que nous nous donnions la main avec respect mutuel .

Merci pour votre écoute.

Marie Maffand