Dans un hôpital de jour, rencontres avec les parents…

Évoquer les rencontres avec les parents, c’est évoquer le fonctionnement de l’hôpital de jour mis au service des familles, pour répondre aux besoins des enfants du secteur présentant des difficultés de développement sévères, en particulier dans le champ de la relation.

Nous hospitalisons actuellement des enfants pour la grande majorité à temps partiel. En effet, l’hôpital de jour est une étape dans la vie des familles : il y a un avant, il y a un ailleurs, il y aura un après. Les enfants sont accueillis de plus en plus précocement puisque nous avons mis en place un groupe en direction des plus petits aux alentours de 2 ans pour répondre à des demandes qui nous étaient adressées.

Après un séjour d’observation, chaque enfant, pour lequel l’indication d’hospitalisation de jour est retenue, bénéficie d’un projet de soins qui lui est propre et que nous proposons aux parents. La place des parents dans l’élaboration du projet et notre souci de porter attention à leur vécu est importante. Ils nous interrogent très vite sur les possibilités d’intégration de leur enfant dans la société qui passe à leurs yeux d’abord par une intégration scolaire.

Concernant l’aide à proposer aux enfants autistes, il nous semble important de ne fermer aucune porte : le syndrome autistique nous confronte à plus de questions que nous n’avons de réponses. L’outil psychanalytique se situant au niveau du vécu, du ressenti, il interroge la vie fantasmatique, il nous permet de donner du sens d’une part dans l’histoire personnelle de chacun, mais également dans nos pratiques. Il reste donc pertinent à la condition de ne pas le mettre à une place qui n’est pas la sienne : celle de la réalité de ce qui se vit dans les familles. Par ailleurs, différents outils issus de la réflexion cognitivo-comportementale sont aujourd’hui indispensables pour permettre aux enfants autistes de progresser.

Le travail de notre équipe se situe dans un souci constant de l’enfant que nous accueillons et de sa famille. C’est pourquoi le projet de soin s’élabore ensemble à partir de l’observation clinique de l’enfant, des besoins repérés, de nos possibilités et en accord avec la famille.

La notion de soin s’entend dans son acception la plus large de « prendre soin » et comprend des approches diversifiées et complémentaires, non pas l’une puis l’autre mais ensemble pour tenir compte de l’intrication complexe des difficultés tant sur le plan développemental que sur le plan cognitif incluant donc la nécessité de soins parfois très spécifiques (comme le packing), en passant par les stimulations éducatives et également la question des apprentissages pédagogiques. L’ensemble s’envisage dans une perspective dynamique, reflet du processus en cours.

Il s’agit de pouvoir proposer une prise en charge globale et surtout cohérente, enracinée dans la clinique, après une réflexion en commun rigoureuse permettant d’en poser l’indication en équipe. Le médecin responsable de l’institution rencontre ensuite les parents pour leur restituer les observations et les propositions concernant leur enfant.

 

La question de la place des parents au sein de l’hôpital de jour s’est modifiée au fil des années et de notre réflexion. Notre démarche a entraîné un questionnement inquiet de certains dans l’équipe, se sentant remis en question dans leur pratique. C’est aussi de l’extérieur de l’institution que sont venues des questions… Reflet des polémiques qui faisaient rage tant sur cette question que sur celle de l’articulation des soins et du pédagogique ou celle de l’étiologie de l’autisme…..

L’ouverture aux parents de l’institution et du travail avec les enfants accueillis, posée comme une évidence incontournable par les médecins de l’équipe, a permis d’expérimenter positivement l’intrication et la complémentarité de nos regards sur les enfants. Notre travail ne peut s’envisager sans les parents, encore moins contre. Nous leur demandons de nous faire confiance….mais cette confiance loin d’être passive et béate doit être exigeante et participative.

Au fil des années, la conscience de l’enrichissement mutuel et réciproque issu de ce partenariat a permis le développement de différentes propositions en direction des parents (ou des parents vers nous). C’est ainsi que nous constatons la présence régulière et vivante des parents lors des réunions ou des différentes approches qui leur sont proposées, comme :

  • la réunion de début d’année (en septembre) où toute l’équipe est présente pour présenter nos projets de l’année.
  • le groupe de parole mensuel sans thème fixé à l’avance avec en parallèle l’accueil du groupe « fratrie » c’est-à-dire rassemblant les enfants accueillis à l’hôpital de jour et leurs frères et soeurs.
  • La réunion trimestrielle sur le thème des apprentissages scolaires et de l’accès au langage.

Des temps conviviaux rythmant la vie institutionnelle au moment des vacances de Noël ou lors de la journée portes ouvertes. Celle-ci s’est mise en place pour accentuer le mouvement déjà bien installé d’ouverture de l’institution vers les parents, et vers tous les professionnels avec qui nous travaillons régulièrement. L’étonnement de ceux-ci, lors de la première journée «portes ouvertes» découvrant la présence des parents et des enfants, montrait bien le chemin encore à parcourir pour tisser des aires transitionnelles au sens de Winnicott.

À côté de ce travail global, général, des projets centrés sur l’enfant et sa famille se sont également mis en place:

  • chaque famille est reçue en début d’année pour évoquer avec elle le projet de soins élaboré en équipe et lui transmettre l’emploi du temps de son enfant au sein de l’institution ainsi que le cadre et les limites de notre travail. J’ insiste sur ce point, car la souffrance liée en particulier à la question de l’école et, au delà, de la socialisation (les parents nous dénomment régulièrement «l’école des psychologues») est régulièrement ré interrogée d’autant que notre ouverture vers le pédagogique est connue. Il nous faut donc être d’autant plus rigoureux dans la définition et la solidité de notre cadre de soin ainsi que dans nos références psychanalytiques articulées à d’autres outils de compréhension et d’aide.
  • les parents sont également reçus après chaque réunion de synthèse pour leur restituer l’actualité de notre réflexion et faire le point avec eux. Par ailleurs, ils sont reçus en cas de nécessité par rapport à la prise en charge ou à leur demande.

Lorsque des parents expriment une souffrance nécessitant une aide spécifique, nous  sommes parfois amenés à les inviter à rencontrer la psychologue de l’institution. La question est de savoir si nous sommes dans le registre d’un accompagnement de la souffrance parentale à un moment donné ou s’il existe une demande personnelle qui sera alors à travailler ailleurs.

Les échanges hebdomadaires avec le référent de l’enfant sont institués comme nécessaire travail de lien. Ensuite, les parents et le référent font vivre, à chaque fois de manière unique, ces échanges. Il s’agit d’apprendre à se connaître, d’éprouver l’intérêt que l’équipe porte à l’enfant et à eux-mêmes et de tisser une relation confiante. Il est à souligner que la possibilité pour certains parents d’assurer tout ou partie des accompagnements de leur enfant à l’hôpital de jour a modifié aussi leur représentation (et la nôtre) de ces temps d’accueil et de retrouvailles ainsi que la possibilité d’échanges quotidiens avec nous.

  • Les groupes parents enfants où s’expérimente avec les familles et les enfants le fait d’être ensemble le mieux possible. Les parents découvrent que les soignants n’ont pas de recette miracle, qu’ils peuvent être démunis devant un enfant, ou devant eux, sans réponse.…mais non abîmés, cassés ou détruits dans ces moments difficiles. Ils rencontrent d’autres parents vivant comme eux des difficultés au quotidien, difficultés concrètes mais aussi difficulté à donner du sens à ce qui arrive, à donner du sens à leur souffrance devant leur enfant si déroutant.

Nous pouvons témoigner que les parents participant à ces groupes parents/enfants cheminent autrement que ceux qui n’y viennent pas. Ils s’approprient très finement notre approche, disent l’apaisement de leur vécu de culpabilité, (re)développent une créativité avec leur enfant et un plaisir à être ensemble. Ils comprennent de l’intérieur ce que nous proposons en le vivant avec nous autour de leur enfant, chacun à sa place, dans le souci commun de l’enfant, de ce qu’il nous montre.

Des parents nous transmettent leur perception de notre manière de travailler ; ils nous parlent de leurs enfants : Louis, Eva, Mogura, Alain…ce ne sont que quelques témoignages mais ils sont des repères dans l’évolution de notre pratique.

Louis est un enfant lunaire de 2 ans et demi lorsque ses parents consultent. Absolument silencieux, économe de ses gestes, il ouvre d’immenses yeux inhabités dans un visage pâle et amimique…il se fait oublier … Lors de moments de jeux corporels, il peut se montrer dans de très brefs moments de plaisir, attrapant ses pieds comme un tout petit. Sa maman nous écrit :

« Récemment, j’ai trouvé dans la rubrique courrier des lecteurs d’un magazine dédié au handicap quelques mots d’une maman d’un enfant autiste : elle rendait hommage au personnel de l’hôpital de jour qui accueillait son fils et les remerciait de leur dévouement. C’est la première fois que je lisais un article traduisant aussi bien ce que je ressentais.

Cela fait maintenant un an et demi que le diagnostic d’autisme a été évoqué pour Louis, à l’âge de deux ans et demi , et un an et demi qu’il est pris en charge à l’hôpital de jour.

Probablement comme beaucoup de parents, dès l’annonce du diagnostic, je me suis précipitée sur Internet, visité de nombreux sites, associatifs pour la plupart. Qu’y trouve-t-on ? de tout, mais tous ces sites s’accordent pour un rejet de la prise en charge en hôpital de jour de pédopsychiatrie. Difficile de faire la part des choses…mon mari et moi avons choisi l’option de faire confiance à l’équipe de l’hôpital de jour. Pourquoi ? pour leur transparence, leur volonté de faire participer les parents au projet de soins de l’enfant et leur ouverture d’esprit : Louis bénéficie ainsi de plusieurs méthodes, aussi bien éducatives (temps d’école avec une institutrice, PECS…) que médicales (psychomotricité, packing…). La mise en place du projet de soin se fait systématiquement avec les parents : on nous propose, on ne nous impose pas. La plupart des temps de soin nous a paru évident (psychomotricité, atelier thérapeutique main à la pâte, temps d’école…), d’autres ont nécessité beaucoup de questions de notre part .

Il est difficile pour nous parents d’attribuer un progrès à un soin. C’est l’ensemble des soins, l’adhésion de l’enfant et peut-être un peu celle des parents qui conditionnent les progrès de Louis que nous vivons au quotidien. »

Eva a 3 ans et demi en arrivant à l’hôpital de jour ; elle se présente à nous comme une enfant dysharmonique avec des traits autistiques marqués ; les parents nous racontent l’histoire douloureuse de leur enfant pour laquelle des inquiétudes existent depuis la naissance et même avant sans que les différents médecins consultés puissent rattacher l’ensemble des signes à une pathologie particulière. Eva se déplace avec peu d’aisance, parle très peu et se montre très intolérante à la frustration ; à l’école, où elle est accueillie à temps partiel, elle ne joue pas avec les autres enfants, se montre dans le refus de participer aux activités proposées par l’enseignante, papillonne… Elle nous évite, s’esquive, glisse pour s’échapper…pourtant, des regards furtifs nous font percevoir que nous existons par intermittence. Elle fait le tour de la pièce, s’assurant de sa fermeture solide, en s’adossant à chaque porte, avec un sourire figé dans un visage sans expression…la sollicitation relationnelle provoque une bascule dans la bidimensionnalité avec collage à la lumière. Le bas de son corps n’est pas investi, les jambes sont allongées dans une position dysharmonieuse laissant penser qu’Eva ne se sent pas rassemblée.

Avec beaucoup de précautions, nous parvenons à entrer en interaction avec elle mais la boucle de retour est fragile et Eva se désengage très vite de la relation. Les parents écrivent :

« Au fil des semaines, Eva semblait prendre peu à peu conscience de son corps et des limites spatiales de celui-ci. Elle a commencé à « toquer » sur sa tête dans les moments difficiles, comme une interrogation et l’évocation des termes « dur », « oui, Eva tu es solide » semblait la rassurer et répondre à son interrogation.

Elle a abandonné peu à peu son attirance pour les objets durs. Les jouets toujours rigides qui l’entouraient la nuit, depuis sa naissance, ont peu à peu été remplacés par des peluches ou poupées en tissu qu’Eva rejetait jusqu’alors.

Il s’en est suivi toute une période où les trous (dans les murs, vus sur les chantiers…) l’obsédaient et où il fallait lui répéter qu’il n’y avait pas que du vide derrière mais que un trou pouvait avoir différentes utilités et que on pouvait toujours boucher ces trous. Elle a clairement pris conscience des différentes matières (sols, murs…) qui l’entouraient.

Nous avions très peur qu’Eva régresse et ne retourne se protéger dans son petit monde imperméable à son environnement. Mais non, pour Eva il y a bien eu quelque chose d’acquis.

Elle a depuis bien continué à progresser tant sur le plan de la communication que de sa tonicité.

Si son appréhension d’un groupe reste parfois difficile et ses difficultés certaines, sa présence est en constante amélioration, et elle est capable de communiquer, de participer activement à la vie de tous les jours et d’en profiter. »

 

Lorsque nous rencontrons Mogura et sa famille, il a presque 4 ans et ses parents soulignent l’étrangeté de ce petit garçon marchant sur la point des pieds, qui fuit le regard en dehors de celui de ses parents dont il observe les yeux intensément « comme quelque chose d’intéressant et d’observable en soi ». Mogura s’isole, pouce en bouche, dans une recherche de sensations visuelles ou s’agrippant des 2 mains à l’adulte présent. À d’autres moments il perd brutalement tout tonus, se liquéfiant littéralement en se laissant glisser à terre de tout son long et ne parvient à se récupérer que lorsqu’on le contient fermement dans les bras. Le langage est quasi absent. Le papa note :

« Lorsque le docteur nous parla pour la première fois des soins proposés, nous ne comprîmes pas grand-chose à ses explications. Le vocabulaire lié à ce type de soin n’était pas notre quotidien, et les explications sous-jacentes nous étaient franchement peu familières. Nous avions cependant confiance envers l’équipe de l’hôpital de jour et nous étions reconnaissants de les voir essayer le plus large éventail de soins et d’approches possibles sur notre enfant, à l’intérieur d’un programme personnalisé et adapté pour lui car nous sentions qu’en procédant de la sorte, nous augmentions les chances d’établir au moins une passerelle, sinon plus, entre notre enfant et son environnement, et ainsi le rejoindre, pour qu’il nous rejoigne.

Nous nous sommes donc accrochés aux explications.

Heureusement la confiance a ceci de merveilleux qu’elle n’implique pas nécessairement de convaincre pour que l’on puisse agir de concert. A chacun sa spécialité : au docteur et à son équipe celle d’essayer différentes approches thérapeutiques, et aux parents celle d’aimer avant tout son enfant.

Nous avons constaté petit à petit un certain nombre de progrès qui apparaissaient et s’installaient dans la durée en se confortant, sans qu’il soit possible pour nous, non spécialistes, de les attribuer spécifiquement à un soin en particulier, car, comment faire la part des choses entre les apports des différents soins qui se conjuguent et se complètent ?

Les retours de l’équipe soignante nous permettaient d’y voir un peu plus clair.

Nous constations de notre côté qu’au fil du temps en effet, et très progressivement, son regard était bien moins fugitif, tant pour nous que pour les autres. Il semblait aussi mieux accepter son corps, puisque lorsque, par exemple, nous le prenions dans nos bras, il tentait moins de s’enfuir ou de couler dans nos bras ; bref, il acceptait mieux notre contact. Nous accédions ensemble, avec plus de plaisir affiché, à diverses marques de tendresse, parole y compris, et à des câlins plus prononcés. »

Alain est un enfant de 6 ans suivi en ambulatoire et scolarisé à temps plein…c’est l’école qui a incité les parents à consulter en raison des difficultés d’adaptation d’Alain qui se montre dans une incapacité à accéder au groupe. Il se disperse alors, mettant littéralement en scène le fait de se morceler et d’exploser. Par ailleurs, les parents relatent qu’en relation duelle suffisamment ferme, Alain est capable de se concentrer, montrant de bonnes compétences intellectuelles et des interactions de bonne qualité. Il sera accueilli à temps partiel tout en maintenant la scolarisation en milieu ordinaire avec un auxiliaire de vie scolaire. Les parents écrivent :

« Alain est un enfant vivant que nous pouvons considérer même particulièrement actif. Il est sensible à la moindre sollicitation extérieure. Un oiseau qui passe, un rire qui retentit, une télé qui s’anime, un enfant qui bouge et Alain se précipite vers l’objet, la personne qui l’a distrait.

On lui a proposé des ateliers spécifiques (théâtre, conte,…) pour l’aider à mieux se concentrer, à augmenter son discernement.

Le plus frustrant pour les parents que nous sommes, est le sentiment de ne pas pouvoir mieux partager avec Alain ces moments. Alain ne commente pas beaucoup le contenu de ces échanges avec les accompagnateurs et nous manquons de comptes rendus détaillés.

Nous apprécions la qualité des échanges, la disponibilité et l’engagement de toute l’équipe du centre. »

Ces différents témoignages sont précieux. Ils sont le reflet de la diversité des situations. Un enfant n’est pas l’autre, il est unique, dans un environnement lui aussi singulier et nous avons à chaque fois à travailler ensemble pour tisser un ouvrage « en un seul exemplaire », du « cousu main », s’appuyant sur une confiance suffisante et réciproque.

Nous avons pris le risque d’ouvrir notre lieu de soins aux parents, de leur faire partager notre expérience, notre compréhension du monde intérieur de leurs enfants et de la relation qu’ils entretiennent avec le monde extérieur, mais également notre souci de les aider eux aussi.

En retour, les parents qui se sont lancés dans cette aventure avec nous, nous ont permis de partager leur vécu, leur histoire, leurs peurs et leurs espoirs.

Le chemin parcouru ensemble est long, délicat, difficile, mais également riche et émouvant… maturant et irremplaçable.

Dr Anne-Yvonne Lenfant, Pédopsychiatre, secteur 59I05, CHRU Lille