Le 3e plan

Quelques réflexions de la présidente de la Cippa

À ce jour le site de la Cippa s’est fait le « porte-voix » dans une rubrique intitulée « réactions au 3e plan », d’un certain nombre de prises  de position de parents, de scientifiques, de membres de la Cippa et des médias. Cependant beaucoup d’adhérents de la Cippa ont souhaité que nous nous  prononcions nous-mêmes sur les arguments et propositions avancés dans le 3e plan. C’est pourquoi lors de notre dernier Conseil d’Administration, il a été décidé que quelques-uns de ses membres se réunissent pour donner de ce plan une large analyse critique.

Néanmoins,  en introduction à ce travail à venir j’ai souhaité  exposer certaines de mes réflexions.

Dans un premier temps je tiens à souligner combien sont négatives les confusions  que l’on relève en permanence  entre les recommandations de l’HAS et les données  du 3e plan. Je  connais bien l’argumentaire de l’HAS ainsi que ses recommandations puisque  au cours du mois de juillet précédant leur parution  j’avais été sollicitée pour en être lectrice et commentatrice. J’en avais alors décrit les aspects paradoxaux (psychanalyse « non consensuelle » mais psychothérapies s’inscrivant nécessairement dans les approches intégratives par exemple). J’avais également évoqué l’intérêt de leurs comptes-rendus concernant la littérature. En effet, ces comptes-rendus donnaient des éclairages édifiants sur les évaluations des prises en charge : peu sont randomisées ou portent sur un nombre suffisant de sujets. Tout  ceci mettant en évidence combien nous sommes encore loin de pouvoir  nous autoriser à donner des points de vue catégoriques. A ce jour rien ne peut encore être ni confirmé ni exclu.

Par ailleurs ces recommandations insistaient  sur l’importance des approches intégratives et  sur le danger qu’il y aurait à ne proposer que telle ou telle stratégie ou projet éducatif. Et voici que le 3e plan, tout en se référant constamment à l’HAS et à l’Ansem n’en dit plus rien du tout ! Que ce soit dans le sommaire ou dans ses développements, on ne trouve pas trace de l’importance des approches pluridimensionnelles !

Ce sommaire  aborde cependant d’autres  points importants :

  • Le diagnostic précoce
  • L’accompagnement tout au long de la vie
  • La reconnaissance de la place des familles (garantir leur accueil et les informer au mieux)
  • Le développement  des recherches
  • L’Inclusion sociale
  • La formation des personnels.

 

Malheureusement,  prolongeant  ma lecture, j’ai pu observer  que, quel que soit le point abordé, toute remédiation ne  peut être proposée que dans le cadre  du médico-social. Il en  est le rail quasiment unique et  le sanitaire n’a plus aucune réelle existence.

Ainsi, dès le premier point intitulé « les mesures », seule est évoquée la nécessité de renforcer et de transformer les services et établissements médico-sociaux existants.  Dès lors, on peut, on doit  s’étonner que les membres de la commission qui ont élaboré ce plan l’aient fait dans un véritable déni de la réalité. Ils semblent avoir tous oublié que l’accueil des enfants autistes dans le médico-social est fort récent et que  Jusqu’à des temps proches, seuls les hôpitaux de jour,  les services de pédopsychiatrie  dont les Centres Médicaux Psychologiques prenaient en charge les enfants, les adolescents atteints d’autisme. Aussi le fait qu’ils ne soient jamais nommés au cours des 121 pages du plan relève d’un parti pris inadmissible, ou d’une scotomisation de la réalité.

Concernant les services de psychiatrie pour adultes, on ne peut que s’étonner de lire que les établissements psychiatriques « autorisés » pourront proposer une adaptation de leur offre (point 10, page 65). Ce terme d’« autorisation n’est stipulé nulle part concernant le médico-social !  Et rien n'est dit non plus sur celui à qui reviendra la responsabilité de donner ces autorisations !

Dans les institutions  sanitaires, (comme dans les établissements médico-sociaux)  les personnels pouvaient et peuvent encore être insuffisamment formés (le fait que le plan souligne l’importance de formations est une bonne chose) néanmoins dans beaucoup d’entre elles, l’éducatif, le scolaire, l’orthophonie, la psychomotricité et la psychothérapie s’associent.

Par ailleurs, Le 3e plan brandit l’étendard des diagnostics et des accueils précoces.  Actuellement les services accueillant la  petite enfance sont en nombre dans le sanitaire. Ces accueils  proposés en CATTP,   en hôpital de jour à temps partiel  ou encore dans des petits groupes  relevant d’approches ambulatoires intensives sont très remarquablement pensés. Ils y associent voire même y intègrent toujours les parents.  La CIPPA s’en fait régulièrement l’écho.

Page 38, sont évoquées 6 régions dans lesquelles les pédopsychiatres, dans le cadre du plan 2008-2010 auraient proposé  des dispositifs hospitaliers assurant « des dispositifs d’accompagnement du diagnostic d’autisme en lien avec les CRA et une mise en place de dispositifs hospitaliers assurant en plus de la fonction diagnostic deux missions complémentaires : la coordination systématique de leurs interventions avec celle des autres acteurs et l’accompagnement des familles dans l’appréhension des troubles et la définition d’un projet de vie adapté à l’enfant »

Ce paragraphe est véritablement « blessant »  si l’on songe à tous les pédopsychiatres qui veillent à ce que soient organisés dans les meilleurs délais les temps de diagnostic et des projets individualisés.   Dans ces structures, cela se construit au cours  de synthèses pluri professionnelles où sont conviés les parents et les intervenants extérieurs à l’institution afin que ce projet se mette en place dans un esprit de consensus. Moi-même, dès 1997, j’ai ouvert au sein de mon hôpital de jour une Unité de Soins  à Temps Partiel pour enfants diagnostiqués et ceci parfois dès l’âge de 24 mois. Ceci se faisant en jonction avec un service hospitalier de neuro-pédiatrie. Cette unité associait et aujourd’hui encore, le Teacch, le PECS, l’orthophonie, la psychomotricité et pour certains enfants, la psychothérapie. Nous étions par ailleurs en association étroite avec les crèches, les halte-garderies ou les écoles maternelles qui les accueillaient deux matinées par semaine. Les parents que je rencontrais toutes les 3 semaines avaient porte ouverte auprès des praticiens qui voyaient leur enfant.

Les personnels du médico-social comme du sanitaire et  du scolaire se plaignent constamment du peu de travail en réseau qui leur est proposé. Ils ont l’impression d’être trop souvent dans des clivages qui les privent de pouvoir organiser des temps communs d’observation, d’élaboration et de prises en charge complémentaires.

Les enseignants, et tout particulièrement ceux qui accueillent des enfants autistes dans des classes tout – venant regrettent constamment  ces cloisonnements qui les privent de renseignements précieux.

Le 3e plan ne porte aucune attention à cet état de fait. Je dirais même, et  au contraire, que la place qu’il réserve à la psychiatrie et plus généralement au sanitaire est tellement minime que l’on a bien souvent l’impression que le médico-social pourrait amplement s’en passer ! J’y ajoute  que les psychologues ne sont nommés qu’une seule fois au décours de ces 121 pages. L’on peut alors se demander qui, dorénavant, saura, entre autres, proposer des  évaluations cognitives et projectives, des analyses des pratiques, des soutiens aux équipes? Et l’on peut ainsi s’inquiéter sur l’avenir de la place des psychologues !

Concernant la recherche, Le plan évoque l’importance de travailler les recherches sur les bases de l’« évidence based médecine ». Il déplore des retards de la France en la matière (il le dit également au sujet de l’inadéquation de nos  prises en charge) mais ce qu’il ne dit pas c’est qu’aux Etats Unis, cette  « evidence based medecine » est en train d’être battue en brèche par de nombreux  praticiens. Ils en reviennent à une « médecine  narrative » qui tient compte de l’histoire du sujet. De leur côté,  bien des chercheurs dont des américains récusent aujourd’hui un scientisme qui se refuse à considérer que sont incluses dans la notion de preuve, les émotions toujours accolées aux expériences (ce qui justement dans le cas de l’autisme pose problème), l’environnement au sens large du terme et la nécessaire relation intersubjective. Les recherches Inserm et Préaut qui  dans notre association, répondent à ces critères, ne sont même pas nommées ! Ne sont en fait reconnues comme étant nécessaires que les recherches qui concernent les neuro-sciences, la psychiatrie (mais laquelle ?) les sciences cognitives et les sciences de l’homme et du social. Tout ce qui a trait aux clivages que vivent les autistes entre leurs sensations internes et leurs perceptions externes, entre  leurs  expériences et les émotions qui y sont attachées, entre leurs vécus corporel et psychique n’y est pas nommé.

En page 18, le plan parle de l’évaluation et de la prévention de la douleur mais seules sont évoquées les douleurs somatiques. Les douleurs, les angoisses corporelles, spatiales et psychiques n‘y figurent pas. Et s’il en est ainsi on peut comprendre pourquoi la psychanalyse qui cherche à soulager les autistes, à les aider à appréhender et à comprendre les sources de leurs angoisses  et de leurs émotions  est  la grande absente  de ce 3ème plan. Dans leurs formations futures, le risque est grand que les personnels éducatifs et de santé ne comprennent pas grand-chose aux difficultés relationnelles et émotionnelles des enfants ou adultes qu’ils auront en charge. Et l’on peut craindre que la souplesse nécessaire ne cède la place à une rigidité dont on pourrait craindre qu’elle ne devienne « robotisante » voire maltraitante. Je citerai ici Pierre Delion qui parle toujours du trépied à proposer aux personnes autistes : L’éducatif toujours, le pédagogique quand c’est possible et le psychothérapique quand c’est nécessaire.

Dans son écrit concernant le 3e plan et que nous avons inséré sur le site il précise qu’il «  ne s’agit pas de psychanalyser les enfants autistes mais d’utiliser des conceptions psychanalytiques dans leur réflexions et leurs pratiques relationnelles autour de ces enfants ». Je relève cette citation car il faut savoir qu’aujourd’hui encore certains professionnels et parents pensent qu’en séance, nous allongeons leurs enfants (voir sur le site ma réponse à l’interview de Bernadette Rogé publié sur  Médiapart). Or, il ne s’agit pas d’allonger les enfants ou adultes autistes mais d’aborder avec eux et de façon très dynamique tout ce qui peut les soulager de leurs difficultés tonico-motrices et psycho-cognitives et de leur incompréhension de ce qu’ils vivent. Difficultés qui les bloquent dans leurs apprentissages ou les amènent à développer des comportements négatifs. Oserai-je dire que les autistes ne sont pas des névrosés  et que l’essentiel de notre travail consiste à les amener à pouvoir sortir de leurs clivages, et à faire des liens.

Plus loin, il est  écrit dans le 3e Plan qu’un   financement supplémentaire n’est pas nécessaire aux institutions car les actions proposées s’intègrent déjà dans  les formations proposées. Comment peut-on dire cela lorsque l’on sait combien les formations aux évaluations et aux stratégies éducatives coûtent cher. Comment également dire cela lorsque l’on connait l’appauvrissement des institutions en personnel de re-éducation. Ceci amène les autistes à ne recevoir que des « saupoudrages » (comme me le disait une mère récemment) en orthophonie ou en psychomotricité.

Par contre, je souligne que les dispositions proposées et concernant le renforcement des CASMP et des SESSAD me semblent  être une avancée. De même que sont pertinentes les réflexions concernant le manque d’homogénéité des CRA.

J’en terminerai en avançant que le seul point qui me semble relier ce 3e plan aux recommandations de l’HAS c’est leur commune utopie. Tout va devenir possible dans un monde qui peut tout. Que ce soit  financièrement, pédagogiquement, éducativement ou théoriquement.  Bien entendu La clinique n’y est pas évoquée !!  Et j’ajouterai enfin qu’en  lisant et relisant ce plan j’y trouve fort peu de respect pour l’autiste en tant que personne humaine. Une personne humaine sujette,  comme nous tous,  à des moments de souffrance, d’angoisse, et d’incompréhension mais aussi de plaisir. Or il faut savoir que ce que nous vivons douloureusement, ils le vivent bien plus douloureusement que nous. De cela le 3e plan ne parle jamais.

Marie-Dominique Amy, Présidente de la CIPPA
Paris, le 20 juin 2013