Analyse critique du 3e plan autisme par des membres du CA de la Cippa

Le 19 juillet 2013, la Cippa a adressé à Madame Marisol Touraine, Ministre des Affaires Sociales et de la Santé, Madame Aurore LAMBERT, Conseillère chargée de l’autonomie, Cabinet du Ministre des Affaires Sociales et de la Santé, et Madame le Docteur MARMIER Conseillère chargée de l’éthique, des droits des malades, de la démocratie sanitaire de la santé mentale le document suivant élaboré par un groupe de travail issu du conseil d’administration de la Cippa parmi lesquels : Armelle Barral, Géraldine Cerf, Pascale Ambroise, Georges Lançon, Marie-Christine Laznik, Chantal Lheureux-Davidse, Dominique Mazéas Valérie Montreynaud, Lisa Ouss, , Anne-Sylvie Pelloux, Maria Squillante, et Hélène Suarez-Labat.

Remarques générales

Les axes du plan sont très pertinents, nous approuvons le diagnostic et l’intervention précoces, l’accompagnement tout le long de la vie, le soutien des familles, la poursuite des efforts de recherche, la formation de l’ensemble des acteurs.

L’effort financier est reconnu.

La proposition du choix pour les familles des différentes réponses et dispositifs et l’appel à renforcer la coopération entre les mondes de la recherche, du sanitaire, du médico-social et de l’éducation dans l’introduction sont encourageants.

Les fiches-actions sont détaillées.

Néanmoins, les termes « harmoniser », « uniformiser » reviennent souvent dans ce 3e plan et nous font craindre la non prise en compte de la diversité des personnes et des situations, le développement d'une pensée unique, l'abrasion de la créativité et de la dimension ludique dans la rencontre et dans l'accompagnement éducatif, enfin, l'empêchement de l'ouverture à une pensée complexe.

Cette harmonisation est imposée au détriment de l'articulation des différentes approches de l'autisme et de la recherche de leur complémentarité. Celle-ci n’est évoquée que pour les évaluations (fiche action 2) ou dans les situations d’autisme sévère et de troubles graves du comportement (fiche action 15). Ce n’est d'ailleurs qu'à ces deux seules occasions qu’apparaît réellement le sanitaire articulé au médico-social. La complémentarité doit pourtant se construire en amont pour permettre d’éviter ensemble ces moments de crise.

Bien que s’appuyant sur les recommandations de la HAS, nous regrettons que 3ème plan n’en respecte pas vraiment l’esprit, en supprimant la partie thérapeutique de la prise en charge, et ainsi le libre choix des parents, en ne prenant pas en compte la souffrance psychique de la population visée. En imposant ainsi, un modèle technique unique, exclusivement éducatif, par le biais du financement des établissements, nous pouvons craindre une forme de Psychiatrie d’Etat même si le mot même de psychiatrie est largement banni du plan.

Le volet thérapeutique est le grand absent de ce plan au fil de tous les axes abordés. Pour quelles raisons la personne autiste ou souffrant de TED ne peut-elle être prise en compte dans sa globalité ?

Concernant le diagnostic et l'intervention précoces

L'accent mis sur le diagnostic précoce (p 8 et 9) est pertinent.

Pour autant, l’âge de 18 mois semble déjà tardif eu égard aux recherches récentes de l’équipe PREAUT qui montrent la capacité de la grille PREAUT à détecter un risque autistique dès l’âge de 9 mois, avec une fiabilité très proche du CHAT à 18 mois (cf document ci-joint)

Repenser le carnet de santé est donc bien nécessaire, notamment le certificat du 9ème mois pour les raisons évoquées ci-dessus.

Nous déplorons en outre qu’aucune nuance au sujet du diagnostic précoce ne soit évoquée. Ce plan semble multiplier les lieux de dépistage et de suivi précoces, sans mise en place d’une réelle cohérence entre ces différents lieux de soins ou de prise en charge.

La fiche action 4 ne cite que l’ADI et l’ADOS

En ce qui concerne la validité diagnostique : l’ADI et l’ADOS sont des outils cliniques intéressants, mais qui ne permettent pas d’établir un diagnostic avant 3 ans[1].

ऀUtilisé avant 3 ans, l’ADI est à prendre comme un outil clinique apportant son complément d’informations dans un dialogue avec les parents..

ऀL’ADOS apporte peu d’éléments cliniques, de grands pans de l’état psychique et cognitif ne sont pas explorés. Et tout dépend de l’interprétation : en effet les données n’ont aucun sens si elles ne sont pas interprétées. D’où l’impérieuse nécessité d’associer à ces outils l’observation clinique, des outils psychométriques et des tests de personnalité.

Les membres de la CIPPA soulignent également l’aspect thérapeutique des évaluations (référencé dans plusieurs recherches universitaires récentes), et regrettent là encore l’exclusivité prônée de l’ADI et l’ADOS.

Accompagner tout au long de la vie

L'accent mis sur l'accueil et le suivi des adultes (p 12) est lui aussi indispensable.

L'accent mis sur l'évitement des ruptures est essentiel (p 10), mais nous sommes inquiets que seules soient ciblées, les périodes critiques d’adolescence et d’entrée dans l’âge adulte (p 13).

Ainsi qu’en sera-t-il des enfants suivis en CAMSP dont la prise en charge s’arrête à 6 ans ? Dans cette logique de continuité des parcours de vie, pourquoi choisir d’augmenter la capacité d’accueil des CAMSP et non celle des structures ambulatoires sanitaires qui accueillent les enfants jusqu’à l’âge adulte ?

Il semble que les rédacteurs de ce plan n’aient tenu compte que des chiffres des MDPH qui concernent le médico-social[2] exclusivement ? Qu’en est-il de la prise en compte des suivis dans le sanitaire (CMP, CATTP et HDJ) ?

35 900 patients souffrants de troubles envahissants du développement ont été soignés en France en 2011 par le secteur sanitaire, si l’on prend en compte les statistiques du RIM-P. Parmi ces patients 14 068 soit 39% relève de l’autisme infantile (F84.0) et de l’autisme atypique (F84.1). Pour ceux-ci les soins ont été prodigués par 811 425,5 journées d’hospitalisation à temps complet ou partiel et 148 650 actes ambulatoires[3].

On annonce des dispositifs coordonnés sanitaires et médico-sociaux (p12) pour ensuite attribuer uniquement des postes au médico-social (fiche action 6). En revanche, la nécessité de développer des partenariats entre le médico-social et le sanitaire est peu évoquée.

Les rédacteurs du plan pensent-ils que le médico-social, est plus en mesure d’appliquer les recommandations que le sanitaire ? Les aspects psychiques et thérapeutiques sont-ils volontairement écartés par les pouvoirs publics ?

Ces données manquantes et non citées occultent tout le travail considérable accompli depuis 40 ans par la pédopsychiatrie:

  • Développement des notions de référence médico-psychologique et de continuité des soins,
  • Ouverture aux prises en charge intégratives dans de nombreux lieux,
  • Mise en place de l'accueil des tout petits au sein d'Unités petite Enfance,
  • Instauration du travail en réseau notamment avec les équipes de PMI pour favoriser le repérage précoce des enfants autistes,
  • Création d'un vrai partenariat avec l’école depuis bien avant la loi de 2005 pour favoriser l'intégration scolaire,
  • Souci constant d'un accompagnement  des parents,
  • Mise ne place d'un accueil de proximité des populations concernées.

Ce travail de proximité au plus près des besoins des familles n’est pas reconnu ici.

Le 3e plan doit-il occulter notre histoire et celle de l'organisation sectorielle des soins que de nombreux pays prennent pour modèle? C’est comme si le travail de générations de professionnels n’avait pas existé, qu’il n’avait rien produit. Cette occultation est d’autant plus insupportable qu’elle vient de nos tutelles, qui rendent non légitime, maintenant, notre travail.

Ce troisième plan impose une refondation radicale des prises en charge au mépris de l'expérience des professionnels du terrain qui ne sont pas consultés et des ressources du système de soins actuel. Un parti pris idéologique apparaît dans cette volonté d'annuler ce qui existe plutôt que de proposer de l'améliorer en s'appuyant sur les ressources existantes.

 

La scotomisation des mots : (pédo)psychiatrie, (pédo)psychiatre, secteur de pédopsychiatrie, CMP, Hôpitaux de Jour, CATTP, psychanalyse, psycho-dynamique, psychothérapie, psychopathologie, psychologue, etc., vise-t-elle à annuler la chose ?

L'accent est surtout mis sur l'éducatif et non sur les suivis psychologiques qui sont nécessairement complémentaires.

L’évolution de la réflexion semble davantage soumise à la pression de certaines associations d’ usagers et du pouvoir politique que référée aux travaux scientifiques, laissant place à des prises de position idéologique.

Un contrôle sera mis en place par les associations représentant les personnes avec Autisme et TED,  « et les différents acteurs », mais ces différents acteurs ne sont pas précisés. De la même manière, quelles instances seront amenées à déclarer « expertes » certaines équipes hospitalières et sur quels critères (p 9 et fiche action 2)?

L'importance soulignée des CRA est judicieuse notamment comme référents pour les situations complexes et avec la tâche de créer un site de connaissances actualisées, prenant en compte des analyses critiques de la littérature et des recherches permettant de nuancer certains résultats. Mais, si les CRA et les équipes associées voient leur rôle se renforcer ainsi que leurs moyens, on ne sait pas quelle est la visibilité de ces équipes associées et quel est leur lien avec les autres services.

 

Concernant la scolarisation des enfants:

Ce qui nous inquiète est la volonté d’écarter encore une fois l’intervention coordonnée thérapeutique et éducative, recommandée pourtant par la HAS, au profit d’un tout éducatif et comportemental : cf p. 46, fiche-action 5 : « Créer de nouvelles structures de scolarisation adaptées aux prises en charge éducatives et comportementales précoces et intensives »

Nous déplorons l’absence du Ministère de l’Education Nationale  dans la rédaction de ce plan. Rien n'est dit sur la pénurie d’AVS, il serait nécessaire de pouvoir chiffrer le nombre d’enfants qui ne sont pas scolarisés, et son évolution dans le temps.

Ici également il semble qu’il n’ait pas été tenu compte de la diversité des profils des personnes autistes et TED.

Nous connaissons bien la difficulté d’accès aux soins somatiques pour les personnes autistes ou TED et apprécions le souci d’identifier les somaticiens formés pour accueillir ces patients et leurs familles. Plusieurs équipes proposent aux familles un accompagnement éducatif ou infirmier pour certains examens ou soins. Cet accompagnement pourrait être encouragé.

Soutenir les familles

A propos de la formation et de l’accompagnement des aidants familiaux, p 98 et fiche-action 23, nous nous inquiétons du poids des associations de parents dans ces formations et  du peu de place laissée aux professionnels ?

S'y ajoute visiblement une méconnaissance de la formation des psychologues qui sont des cliniciens et qui participent grandement à l'accompagnement des enfants et des familles, ainsi qu'au travail de coordination au sein des institutions et entre les institutions et les familles.

Les parents que nous rencontrons, demandent un soutien, un accompagnement, une aide, pour être parents de leur enfant autiste, sans vouloir devenir professionnels auprès de lui.

Les places "de répit" existaient déjà, sous forme de « séjours de rupture » dont la nomination n’était pas plus heureuse que « places de répit », elles ont été supprimées par manque de moyens dans de nombreux cas.

Nous voudrions voir se créer des places pour « vacances », et que soit respecté le droit aux vacances pour ces enfants.

Poursuivre les efforts de recherche

Nous nous étonnons de son sous-titre « Redonner de l’espoir par la raison » qui nous semble bien loin de la rigueur scientifique nécessaire à l’abord de ce sujet.  

Nous approuvons l’accent mis sur la recherche et particulièrement la recherche clinique. Elle doit s’ouvrir largement sur l’ensemble des disciplines[4] et leur complémentarité (citons l’approche sensori-motrice, la psychopathologie, la psychologie clinique, la psychanalyse en plus des sciences cognitives, de l'imagerie, de la génétique, etc.). Nous souhaitons que d’autres champs soient mentionnés dans la fiche action 24.

Malgré l'accent mis dans ce troisième plan sur la nécessité d’un travail de recherche et de formation en interdisciplinarité, nous avons des inquiétudes sur la répartition des enveloppes budgétaires et sur les freins qui pourraient être mis à certaines recherches.

Certes, il est nécessaire d’assurer le développement de prises en charge fondées sur l’évidence scientifique et de renforcer la recherche sur les biomarqueurs ou en imagerie, mais n’oublions pas de mentionner la recherche portant sur la psychopathologie fondamentale[5], incluant les études de cas en psychologie clinique et en psychanalyse.

Plusieurs points soulèvent particulièrement notre  inquiétude :

  • que soient déjà nommés des laboratoires et des équipes, de fait cooptés. Les crédits de recherche doivent être attribués selon des appels d’offre et aux laboratoires qui répondront le mieux à ces appels, sans préjuger déjà de qui devrait les avoir. (voir p105 par ex)
  • que les biomarqueurs soient considérés comme des outils diagnostiques (p 22)
  • que soit mentionné p 22 : les recherches doivent porter « sur les approches éducatives, comportementales et développementales dont certaines ont fait la preuve de leur efficacité dans d’autres pays, mais qui doivent être adaptés et évalués en France ». La preuve scientifique de leur efficacité ne semble pas suffisamment établie[6].

Former l'ensemble des acteurs

La formation des professionnels est essentielle si elle respecte vraiment un esprit de complémentarité des approches que nous défendons.

Aucune attention n’est accordée aux conditions psychologiques et environnementales requises pour l'accès aux apprentissages des personnes autistes, or il serait important de former les professionnels sur ce point également.

Nous avons été sensibles au fait que le plan souligne les enjeux financiers scandaleux dans la formation aux tests ADI et ADOS, et compte bien y remédier. Nous souhaitons attirer l’attention sur le fait que le rapport qualité/prix du matériel de l’ADOS est également scandaleux.

Il serait souhaitable de répartir ce budget sur la formation et l’achat de matériel d’autres tests afin d'élargir la palette des outils diagnostiques disponibles et de permettre un ajustement aux divers profils et situations des personnes.

Conclusion

La lecture de ce 3e plan nous a amené à apprécier l’effort financier, le souci d’accompagner la personne autiste ou TED tout au long de sa vie et dès les âges les plus précoces, le soutien des familles, la poursuite des efforts de recherche, la formation de l’ensemble des acteurs.

Mais au fil des pages, nous sommes frappés par le silence total que ce plan fait tomber sur la nécessaire complémentarité des approches thérapeutiques et éducatives. Il n'est question du sanitaire qu'essentiellement dans sa dimension de diagnostic ou de traitement  médicamenteux, comme s'il n’était pas utile qu'il assure le suivi des personnes autistes et TED en tenant compte des recommandations de la HAS.

Cette volonté d’annuler ce qui existe, plutôt que de proposer de l’améliorer en mettant l’accent sur la complémentarité des approches, dans le suivi comme dans la recherche, et sur le développement des indispensables partenariats est une position de fermeture dénotant davantage un parti pris idéologique qu'un appui sur la rigueur scientifique.

C’est pourquoi nous vous demandons de bien vouloir surseoir à l’application de ce 3e plan, afin d’en permettre une renégociation avec tous les professionnels concernés.

 


[1]           Pour l’ADI, avant 18 mois, on trouve 60% de faux positifs, entre 18 mois et 3 ans, 30% de faux positifs et 27% de faux négatifs. Ces 2 tests sont malheureusement utilisés par endroits, comme seuls outils diagnostiques, malgré tous les biais largement décrits dans la littérature.

[2]           75000 personnes TED pris en charge dans le médico-social p.12

[3]           D. Ribas, Autisme, pédopsychiatrie et psychanalyse en 2012 : folie, origine et déni, in Psychiatrie française

[4]           Nous citerons pour exemple, la recherche sur les Ateliers-classe PREAUT qui consiste à évaluer l’approche pédagogique structurée et intégrative, visant la subjectivation de l'enfant. Cette recherche met en œuvre une collaboration fructueuse entre le sanitaire (7 hôpitaux de jour), le médico-social (4 IME), la Croix-Rouge Française, le Service de Psychiatrie de l'Enfant et l'Adolescent de la Salpêtrière (Pr Cohen) et le laboratoire ISIR de l'Université des Sciences PMC Paris VI.

[5]           Les chercheurs en ce domaine sont également universitaires, enseignants et chercheurs habilités par le C.N.U. à partir de la publication de leurs travaux dans des revues indexées

[6]           C.de PREAUT, 9, 77-100, 2012