Partenariat entre les parents et les professionnels

Marie-Dominique Amy témoigne, à partir de son expérience de clinicienne et de formatrice dans les institutions, de l'importance d'établir un partenariat parents professionnels de bonne qualité. Elle explique le rôle de l'abord psychodynamique que propose la psychanalyse et l'intérêt de son articulation avec les stratégies éducatives :

« Le projet de la création de la Cippa s'est articulé autour de quatre axes principaux :

  • L'objet de la psychanalyse dans le travail avec les personnes autistes
  • L'articulation entre psychanalyse et approches cognitives
  • L'articulation entre psychanalyse et neurosciences
  • Le partenariat avec les parents

Laissant de côté les points deux et trois, je vais, dans un premier temps, aborder le partenariat avec les parents puis je reviendrai sur l'objet de la psychanalyse, sachant que même lorsque je m'exprime concernant le partenariat avec les parents, ma formation psychanalytique me fait en parler en des termes qui y font fréquemment référence.

Pour ce faire, il me semble important de relater tout ce qui nous a amenés, à la Cippa, à souhaiter que des psychanalystes et plus généralement tous les professionnels travaillant avec des personnes autistes, réfléchissent ensemble à leur investissement auprès des parents et à l'absolue nécessité de partager avec eux réflexions, observations et mise en place d'objectifs communs. À ce jour, deux sous-groupes de la Cippa, à Paris et en province, travaillent activement sur ce sujet afin de pouvoir organiser dans un avenir que j'espère proche, une journée consacrée à un dialogue avec les parents.

Ce qui vient d'être énoncé, concernant l'importance du partenariat, semble relever du plus simple bon sens et pourtant il n'en a pas toujours été ainsi ! Aujourd'hui encore, cette nécessité absolue du partenariat ne semble pas être évidente pour tous, que cela soit dans le médico-social, dans le sanitaire ou en pratique libérale.

Il m'arrive, au cours des formations que je propose en mon nom ou que d'autres collègues et moi-même proposons au nom de la Cippa, de travailler avec des institutions dans lesquelles les parents ne sont rencontrés que deux fois par an voire éventuellement trois, s'il y a une fête à Noël !

Les prétextes en sont variés : manque de temps de l'équipe, distance entre l'institution et le lieu d'habitation, horaires de travail des parents, accompagnements en taxi, désinvestissement de la famille lorsque l'enfant est depuis longtemps dans l'institution...

Tout ceci est possible car, en effet, certaines familles vivent loin du lieu d'accueil et n'y accompagnent pas elles-mêmes leurs enfants. Certaines d'entre elles ont, professionnellement, des responsables peu compréhensifs. Certaines encore ont tellement donné d'elles-mêmes dans un premier temps pour tenter de comprendre et d'assumer l'annonce d'un diagnostic puis pour trouver des professionnels capables de répondre à leurs interrogations et de les orienter vers ce qui conviendra le mieux à leur enfant, qu'un certain épuisement peut devenir compréhensible. Épuisement d'autant plus fort que pour bien des parents, trouver une place disponible pour leur enfant dans un lieu d'accueil digne de ce nom, a relevé et relève encore du parcours du combattant ! Pour les parents comme pour les professionnels, l'investissement au long cours n'est pas facile. Nous sommes tous atteints par des sentiments d'impuissance, d'échec et de découragement. Nous avons tous à assumer les blessures engendrées par le retrait, l'inintérêt, la violence ou l'inhibition de ces enfants, adolescents ou adultes autistes.

Mais le partage de ces difficultés, le fait de pouvoir en parler ensemble, de chercher à comprendre dans une réflexion commune le pourquoi de tel ou tel comportement, de telle ou telle réaction ne peut qu'aider et soulager parents et professionnels.

Je suis psychanalyste et le revendique haut et fort, car j'ai la conviction que d'une façon certes empirique mais certaine puisqu' articulée autour d'expériences et d'observations de longue date, les psychanalystes formés à l'approche de l'autisme, ont observé et mis à jour des difficultés psychiques, corporelles et mentales qui pénalisent fortement les compétences cognitives des personnes autistes. Du reste, les recherches actuelles en neurosciences rejoignent fréquemment nos observations et, même si elles trouvent à ces difficultés des hypothèses ou des origines différentes, elles reconnaissent comme nous l'importance de notre complémentarité. Complémentarité qui se concrétise par des rencontres très riches et fructueuses entre psychanalystes et chercheurs.

Je me défendrai donc de faire ici du prosélytisme, car si je juge que l'approche psychodynamique est une aide précieuse pour les personnes autistes, elle ne suffit pas à elle seule. Mais je pense qu'il en est de même concernant les approches cognitives, qu'elles s'adressent plus particulièrement au développement de la personne autiste ou à ses troubles du comportement. L'exclusion de l'une par l'autre est regrettable, car lorsqu'un enfant est en difficulté autistique, c'est justement ce clivage entre le psychique et le cognitif qui est à l'origine de ses difficultés. Il est, tout au moins avant d'avoir été suivi, dans l'incapacité de relier ses émotions internes avec ce qu'il vit dans la réalité. C'est là sans doute la raison qui peut faire penser à certains qu'il ne ressent rien !

Cela m'évoque un passé peu lointain où l'on croyait que les bébés pouvaient subir des interventions douloureuses sans anesthésie car ils ne sentaient rien eux non plus.

C'est parce que les psychanalystes ont pu observer combien ces enfants autistes pouvaient être aidés dans la compréhension de leurs émotions qu'ils cherchent en permanence à les amener à faire des liens entre ces émotions internes : plaisir, déplaisir, tristesse, colère...et leur vécu dans la réalité.

Ayant toujours travaillé avec les enseignants et les éducateurs qui reçoivent ces enfants, j'ai pu, à bien des reprises, mesurer combien certains apprentissages faisaient tomber certaines de leurs angoisses, et combien l'élaboration psychique que je leur proposais leur permettait à son tour d’apprendre plus facilement et plus encore de mieux articuler leurs apprentissages avec leurs ressentis, de mieux comprendre ceux-ci et donc de mieux les vivre. Les personnes autistes n'ont pas à marcher à cloche-pied, c’est-à-dire à avancer sur la jambe des cognitions ou sur la jambe des émotions. C'est lorsque celles-ci avancent de concert que ces personnes réussissent à marcher avec plaisir. Il faut apprendre, il faut comprendre pourquoi on apprend et il faut mettre sur ce que l'on apprend un sens à la fois cognitif et émotionnel.

Il faut aussi apprendre à généraliser les apprentissages et pour cela, la tâche leur sera bien plus facile si les professionnels et les parents collaborent entre eux. Certaines personnes autistes ne peuvent accomplir une tâche que dans un cadre unique, ou avec la même personne.

Si j'y insiste, c'est parce que ce qui pénalise essentiellement toutes les personnes atteintes d'autisme c'est justement leur incapacité à devenir efficaces dans des contextes différents. La notion de généralisation leur est particulièrement complexe. Sortir de l’invariant peut engendrer des crises de colère, d'angoisse ou de retrait. Nous avons donc à travailler ensemble afin de voir comment les aider à sortir de ces processus d'immuabilité. Lorsqu'ils doivent affronter des temps de transitions, lorsque surviennent des imprévus, combien cela peut leur être difficile ! Je crois que nous ne mesurons pas toujours l'impact dévastateur que certains changements, durant tout un temps voire parfois très longtemps, peuvent avoir sur eux. Quand ultérieurement ils peuvent en parler, ils évoquent des vécus de déchirure corporelle, de vide effrayant, de sensations de perte ou d'effondrement. Et pourtant il est nécessaire de les amener à devenir autonomes et opérationnels. Il faut donc observer, tenter de comprendre, verbaliser et trouver tous les moyens visuels ou auditifs qui vont les aider à créer des liens entre un lieu et un autre, d'une personne à une autre et d'une activité à une autre activité. Les stratégies éducatives sont à cet égard d'une aide précieuse. Mais l'approche psychanalytique de ces difficultés majeures est elle aussi un atout de taille dans la mesure où, visant à repérer les contenus, les racines archaïques de ces difficultés, voire de ces terreurs, elle les aide à mieux en comprendre le sens, les origines et à y mettre un terme.

Par ailleurs, ils supportent très mal de vivre l'échec ou des situations qu'ils ne comprennent pas. Mais le plus difficile pour eux est de ne pas avoir les outils pour se faire comprendre. Ceci est totalement évident concernant les personnes autistes sans langage, mais, dans mon expérience, certains d'entre eux qui commencent à parler n'ont pas pour autant une véritable compréhension de ce qu'exprime l'autre. Les stratégies de communication alternative au langage verbal peuvent alors être précieuses.

Nos collègues chercheurs démontrent que les circuits neuronaux se fondent sur l'expérience et les émotions. Ne les rejoignons-nous pas, nous psychanalystes, lorsque nous disons que ces émotions et ces expériences laissent des traces psychiques qui peu à peu aident le bébé puis l'enfant à intégrer des images et des représentations des personnes et des situations ?

Il me vient en mémoire, cette jeune maman éplorée me disant : "Madame Amy, il a dit « maman ! » et je n'étais pas là" Et moi de lui répondre joyeusement : "Mais c'est parce qu'il va très bien ! Ça y est, vous êtes dans sa tête et son cœur, même lorsque vous êtes absente !"

Les bébés, les enfants atteints d'autisme semblent ne pas avoir, au début en tout cas, ces capacités à se représenter l'absence. Ceci explique en partie combien ils peuvent eux- mêmes sembler absents à certains moments. Si, pour eux, nous n'avons pas une véritable existence indépendante et autonome, quel sens peut avoir pour eux ce que nous appelons la communication ? Ceci explique également pourquoi ils ont une telle difficulté à anticiper. Difficulté que l'on observe même chez ceux d'entre eux qui semblent aller bien, puis régressent massivement vers 18 mois.

Si l'on observe finement, avec l'aide des petits films réalisés par les parents, on s'aperçoit que ces enfants-là semblent en effet être bien ancrés dans la réalité, mais en fait ils vont peu vers l'autre et plus encore, ils ne le sollicitent pas. Lorsque l'on joue avec un bébé et que l'on arrête le jeu, même s'il n'a pas encore de langage, il trouve des moyens pour faire comprendre qu'il souhaite que le jeu continue. Le tout-petit à devenir autistique ne sollicite pas la poursuite du jeu même si dans le moment même, ce jeu l'a fait sourire ou rire. Alors avec des enfants aussi complexes, aussi énigmatiques, comment réussir à exercer pleinement une fonction parentale ?

Les parents observent leur bébé, ils jouent avec lui, ils l'imitent, ils sonorisent ses mouvements, ils lui montrent qu'ils ont compris ses demandes, ils l'aident à mettre en rapport ses mouvements, ses vocalises, ses pleurs ou ses cris et ses expressions faciales avec ce qui se passe dans son environnement ou avec ce qu'ils comprennent de ses sensations internes : la faim, la soif, le sommeil, une douleur... Ils l'aident à articuler ensemble l'audition, la vision, le toucher, le goût. Mais combien tout cela devient difficile pour des parents, lorsque le bébé, l'enfant ne montre rien, ne désire pas grand-chose ou encore se trouve dans une extrême difficulté pour manifester une demande !

Mais je reviens sur le jeu. Le jeu est l'un des apprentissages majeurs de l'aller-retour entre soi et l'autre, de la différenciation entre moi et non moi, du partage et de tout ce qui se situe dans l'interactif. Mais si la "relance" ne se situe jamais du côté de l'enfant, on peut comprendre qu'au bout d'un long moment et de beaucoup d'efforts, les parents se posent mille questions et finissent par douter du bien fondé de leurs propres sollicitations. Jouer c'est également, même lorsque l'enfant est seul, se mettre à imaginer, inventer, trouver des solutions, symboliser telle ou telle situation concrète et là aussi, pour la personne autiste, la chose est difficile car bien souvent elle va se focaliser sur une partie d'un objet, d'un jeu ou d'une situation, quitte à en détourner complètement le sens. Quel travail pour les parents que d'amener ces enfants-là, étapes par étapes, à comprendre la signification juste et pleine des activités ludiques ! L'approche ABA par l'apprentissage incidental ne fait pas autre chose. L'éducateur part de ce que montre l'enfant, en fait un jeu et enrichit ce jeu d'ouvertures vers des espaces de compréhension jusque-là absents.

Concernant tout cela, les parents de ces enfants-là, mieux que quiconque, peuvent réfléchir avec nous à certaines réactions de leurs enfants et à la meilleure façon d'aider leurs enfants à les dépasser. Car ils ont en tête le trajet de l'enfant. Ils ont observé ses difficultés, ils les ont vues naître, ils ont des hypothèses concernant les situations qui déclenchent tels ou tels comportements. Leur enfant est anhistorique, il est toujours dans le « hic et nunc », il n'articule pas le présent avec le passé ou l'avenir. Mais les parents, eux, sont capables de le faire et ce qu'ils peuvent en dire aux professionnels est essentiel. C'est parce que bon nombre des adhérents psychanalystes à la Cippa partagent mes convictions qu'ils se sont formés aux approches éducatives, à celles qui proposent des alternatives à la communication aux enfants sans langage et qu’ils se sont formés aux évaluations diagnostiques et à celles qui concernent la mise en route d'un projet individualisé. Et c'est dans cette perspective d'articulation entre leurs compétences psychodynamiques et cognitives qu'il leur est demandé d'aider fréquemment des équipes en difficulté. C'est enfin dans cette perspective qu'ils partagent avec les collègues de leurs propres institutions, les observations, les réflexions et les mises en fonctionnement des objectifs proposés.

Mais tout ceci s'articule d'autant mieux si ces objectifs sont réfléchis et partagés avec les parents. Ceci pour une raison simple. Si des objectifs sont partagés sur le principe mais ne le sont pas dans leur réalisation, on confronte la personne autiste à des incompréhensions souvent tellement fortes qu'elles les amènent à ne pas pouvoir progresser ou à manifester leur désarroi par des violences ou des retraits importants. Par ailleurs, s’ils progressent, on peut craindre néanmoins que la jonction entre l'expérience et le sens à la fois didactique et émotionnel de cette expérience ne concorde pas vraiment. Je veux dire par là que les réactions émotionnelles, de plaisir ou de déplaisir, associées à la réussite ou à l'échec ne deviendront pas forcément manifestes et compréhensibles par la personne autiste elle-même.

Apprendre à exécuter une tâche, en comprendre le sens, la contingence (ainsi que les éducateurs ABA en décrivent la nécessité) est de première importance, mais apprendre à percevoir que les réactions émotionnelles vécues par l'autre peuvent être différentes ou pareilles aux siennes reste essentiel, car là réside l'une des difficultés majeures de la personne autiste. Ceci est fort bien expliqué par les chercheurs qui se sont penchés sur la théorie de l'Esprit.

Tout ce que je viens d'aborder évoque l'importance de l'abord de l'intersubjectivité. Comment devenir un sujet à part entière si l'on ne reconnaît pas l'autre comme étant différent de soi-même ? C'est justement parce que leurs bébés à devenir autistique ne leur laissent pas cette place intersubjective, cette place qui seule peut permettre à des parents d'aider leur enfant à comprendre ce qu'il en est de son environnement et de leur relation mutuelle en devenir, que ces parents-là peuvent se sentir écrasés, inadéquats, coupables même de ne pas réussir à gérer cet incompréhensible. Nous le savons d'autant mieux que nous-mêmes, les professionnels accueillant leurs enfants, rencontrons les mêmes difficultés.

Il y a donc à rechercher en permanence et ensemble une compréhension commune des facteurs déclenchant et des façons d'y remédier.

J'en arrive maintenant à l'autre question sur laquelle la Cippa réfléchit en permanence, à savoir : Que propose la psychanalyse à un enfant autiste avec ou sans langage ?

Si l'on revient sur les difficultés essentielles qui ont été abordées préalablement et si l'on admet que ces personnes autistes ont une vie intérieure, comme toute autre personne au monde, on prend conscience qu'il leur est nécessaire de meubler cette vie intérieure avec des représentations et des images de ce qu'ils vivent dans la réalité et qui leur font, au début, cruellement défaut. Ceci les amène à réagir à toute séparation comme si elle était une disparition pure et simple. C'est la raison pour laquelle, passer d'un lieu à un autre, d'une activité à une autre peut être vécu par eux de façon si douloureuse. Et c'est pourquoi nous cherchons constamment à les aider à faire des liens qui leur permettent de sortir de ces angoisses primitives. Car ce sont ces liens primitifs qui leur font défaut. Ce sont les repères sensoriels entre leur vécu intra utéro et leur vécu à venir qui semblent absents. Pourquoi ces liens ne se sont-ils pas construits ? La question fait encore aujourd'hui l’objet d'une recherche importante et bien des pistes sont évoquées. Mais ces pistes semblent conduire à des hypothèses si variées que bien des chercheurs évoquent l'idée qu'il pourrait y avoir des origines différentes à l’autisme (génétiques, neurologiques ou associées) ce qui amènerait à mieux comprendre pourquoi ces personnes peuvent être aussi différentes les unes des autres, tant au niveau de leur évolution que de leurs comportements. Ceci amène également les professionnels à penser qu'il pourrait il n’y avoir non pas un autisme mais des autismes.

Quoi qu'il en soit, des projets individuels sont toujours à proposer car ils expriment leurs difficultés de façon variée, dans la mesure où ils sont tous tributaires de clivages entre le corporel, le sensoriel, le mental et le psychique. En les observant, on s'aperçoit que pour certains, la perception de la réalité ne peut se faire que par la vision. Pour d'autres, ce sera par l'audition ou l'olfactif, le tactile ou le gustatif. Mais ces approches sensorielles ne s'articulent pas entre elles. Je pourrais proposer l'exemple suivant. Lorsque l'on regarde et écoute un concert à la télévision, on s'aperçoit que quand la caméra se focalise sur un instrument de l'orchestre, on entend cet instrument mieux que les autres. J'enfonce des portes ouvertes, car nous savons tous que les articulations sensorielles sont nécessaires à la perception de toute situation. Or les enfants autistes n'en bénéficient pas, en tout cas pas avant d'y avoir été aidés. On peut en dire autant, concernant des gestes, des expressions qui ne s'articulent pas avec la parole ou tout simplement avec l'état mental. On imagine alors combien ces clivages leur rendent difficile une compréhension quelconque du monde extérieur.

Lorsque l'on a pris conscience que certaines de leurs incapacités résident dans leurs difficultés à mettre du sens sur ce qui émane d'eux-mêmes, on réalise combien il est nécessaire de les aider à déchiffrer leur propre mode de langage et à y donner un sens relationnel. Les psychanalystes qui accueillent de très jeunes enfants autistes savent bien qu'avant de parler avec des mots, les enfants parlent avec leur corps. Celui-ci contribue donc à faire émerger leur pensée naissante. On peut même dire que ce langage corporel est, en soi, un mode de pensée préverbale. On ne peut en dire autant concernant les stéréotypies qui, elles, auraient au contraire pour but de permettre à la personne autiste de s'isoler dans une recherche autosensuelle qui les coupe de toute relation.

Mais tout ce que je viens d'évoquer, ces enfants autistes ne semblent pas en être conscients. Tout se passe comme si, chez eux, le corps et l'esprit étaient hors lien et cheminaient, encore une fois, sans jonctions. À nous de les aider à faire ces jonctions qui sont inexistantes.

Par ailleurs, chez les personnes autistes, le corps apparaît comme fragile, objet de dissymétries ou d'articulations peu ou pas intégrées. Je me souviens de ce petit garçon avec lequel je dansais dans un groupe de musique et lorsque je l'ai sollicité pour que nous sautions ensemble, il s'est mis à hurler "Non ! Jambes tomber, jambes tomber !!" Ils ont besoin de se créer des enveloppes sécurisantes qui progressivement les aideront à se sentir moins en danger d'être attaqués. Combien d'entre eux recherchent une couverture dans laquelle s'envelopper, un placard ou une maison de poupées où s'enfermer. Afin de les aider à dépasser ces modes d'auto contenance, il faut les amener à comprendre progressivement qu'une relation à l'autre peut être tout aussi contenante et rassurante.

On sait aussi que la plupart de ces enfants semblent être dépourvus de tout intérêt pour l'imitation et pourtant, comment grandir sans observer et imiter ? On ne saurait dire qu'un enfant autiste n'imite rien. S'il en était ainsi le moindre apprentissage lui serait impossible et ce n'est pas le cas. Mais cela se complique lorsqu'il y a à "faire comme les autres" dans une situation où cela est indispensable. C'est pourquoi, il y a beaucoup à les aider afin que là encore, imiter prenne sens.

La tâche essentielle d'un psychanalyste est d'observer ce que ces personnes autistes donnent à voir, de chercher à en comprendre les origines ou les contenus latents et de les aider à en comprendre elles-mêmes la signification. Bien des violences ou des comportements inadéquats disparaissent lorsque l'enfant, l'adolescent est à même de comprendre ce qui l'a émotionnellement amené à agir ou réagir de telle ou telle façon. Il faut aussi comprendre ce que nous appelons le transfert et en quoi il est nécessaire d'en tenir compte, tout autant avec eux qu'avec n'importe quel autre enfant. On sait bien que ces enfants sont différents selon le cadre, les activités proposées etc. Mais ils le sont aussi selon ce que la relation naissante à l'autre les amène à montrer ou à faire. C'est dans cette relation naissante que va se jouer toute la construction du relationnel.

Je me souviens d'un groupe thérapeutique qui réunissait quatre enfants très malades, très absents, une collègue et moi-même. Au bout de quelques mois, ces enfants nous ont tellement bien différenciées qu'ils savaient à laquelle d'entre nous demander telle chose que l'autre risquait de lui refuser et ils savaient avoir recours, lorsque nécessaire, à l'habileté manuelle de ma collègue ayant compris combien j'étais quant à moi peu opérante à ce niveau. J'évoque cette séquence pour illustrer l'importance du travail psychique lorsqu'il permet à ces enfants d'intégrer des "portraits" internes de leurs interlocuteurs, car ces enfants pouvaient, même lorsque cette collègue était absente, montrer sa photo lorsqu'ils avaient l'impression que les personnes présentes n'avaient pas la possibilité de les aider comme elle le faisait.

Bien des éducateurs sont aujourd'hui conscients de l'importance de cette mise en route du relationnel, mais certains restent encore convaincus qu'apprendre est une réponse à tout. C'est certes une réponse nécessaire, mais si l'on veut qu'en grandissant ces enfants deviennent possesseurs de leur propre histoire, il faut leur proposer de trouver au fond d'eux- mêmes des réponses psychiques et cognitives à leurs difficultés à être.

Les psychologues de la petite enfance, bon nombre de pédiatres et de chercheurs ont pu, grâce à de multiples expériences proposées à des nourrissons, des bébés et de très jeunes enfants, mesurer combien ces enfants à devenir autistique sont absents au monde. Si j'insiste sur la notion de précocité c'est que "presque" tous les professionnels savent aujourd'hui combien un diagnostic et un suivi précoces sont nécessaires. On sait aujourd'hui que les enfants ont un sens inné du social. Et, je l'ai déjà évoqué, on sait aussi que leur vécu intra-utéro leur donne des repères corporels et sensoriels qu'ils retrouveront après leur naissance. Les enfants autistes semblent ne pas avoir ces atouts-là. Il va falloir que les parents, les éducateurs, les psychomotriciens, les orthophonistes et les psychothérapeutes, les enseignants, les ergothérapeutes... leur en donnent les moyens.

Avec ces enfants, on ne peut pas parler de reconstruction mais de construction et pour qu'elle se développe autant que faire se peut, le partenariat entre parents et professionnels est indispensable. Pour moi, le respect que nous devons à ces personnes en difficulté passe par la conviction qu'il n'y a pas à les "couper en morceaux". Cette construction en devenir nécessite que leur soient donnés des atouts dans tous les domaines qui caractérisent l'humain à savoir : le somatique, le psychique, le sensoriel et le mental. Mais ces atouts resteront mineurs s'ils échappent à une jonction, à une articulation permanente, qui n'est pas du tout évidente chez eux. Les parents font-ils autre chose en "prenant soin " de leur enfant ? Leurs clivages déjà évoqués plus haut ne peuvent être que renforcés par les nôtres et c'est pourquoi je terminerai cette intervention par un plaidoyer en faveur d'une consensualité entre parents, chercheurs, psychanalystes et cognitivistes. Celle-ci me semble relever du bon sens et c'est pourquoi notre complémentarité ne peut que les aider à trouver en eux-mêmes leur propre et indispensable complémentarité. »